facade of a mon apartment building. black and white. stock photo
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Éditoriaux Construction et Immobilier

Les défis et l’évolution du droit immobilier en Suisse

29.06.2025
par SMA

Alors que notre pays et en particulier ses grandes villes font face à une pénurie de logements depuis plusieurs années, les réformes du droit immobilier s’accélèrent. 

Charles Gschwind

Charles Gschwind
Avocat associé en droit immobilier chez Baker McKenzie et membre du Comité du SVIT Romandie

A l’échelle fédérale, plusieurs révisions importantes s’annoncent, en particulier en matière de droit privé et fiscal. À l’échelle cantonale, plusieurs projets visent à renforcer la protection des locataires ou à augmenter l’offre en appartements à loyer abordable ou, au contraire, à corriger certains effets indésirables de normes actuellement en vigueur sur d’autres objectifs clés, tels que la transition énergétique. Ces objectifs ne sont pas toujours compatibles, voire parfois contradictoires, ce qui place parfois les milieux immobiliers « entre le marteau et l’enclume ».

Réforme du droit de la construction

Suite à une récente révision qui entrera en vigueur le 1er janvier 2026, le Code des obligations (CO) prévoira notamment un délai de 60 jours pour signaler les défauts de construction (qui devaient jusqu’à présent être annoncés immédiatement) et renforcera ainsi la position juridique des maîtres d’ouvrage et des acquéreurs de bâtiments (presque) neufs. 

La réforme va plus loin en introduisant un nouveau droit impératif à la réparation sans frais. Lorsqu’un particulier achètera un bâtiment neuf destiné à son usage propre, il ne pourra dès lors plus se voir opposer des clauses excluant la responsabilité du vendeur ou de l’entrepreneur.

Réforme des règles relatives à la propriété par étages 

Le droit de la propriété par étages (PPE), vieux de près de 60 ans et en besoin de modernisation, fait actuellement l’objet d’une réforme ambitieuse dont l’objectif est de renforcer la sécurité juridique, la transparence et l’efficacité du régime, tout en conservant ses principes de base. Parmi les nouveautés prévues figurent une refonte des droits d’usage exclusif sur les parties communes, un plan de répartition obligatoire, des pouvoirs accrus de l’assemblée des copropriétaires et un fonds de rénovation renforcé. Un autre axe fort de la réforme concerne la protection des acheteurs de logements sur plan.

La consultation est désormais achevée et le Conseil fédéral devrait proposer son message au Parlement fédéral d’ici fin 2025

La fin de la valeur locative ?

En 2024, le Parlement fédéral a adopté une réforme fiscale visant à supprimer la valeur locative des résidences principales et secondaires, tout en restreignant les déductions fiscales sur les intérêts hypothécaires. 

Si elle est confirmée à l’issue d’une votation populaire, cette réforme mettra fin à une spécificité suisse remontant aux années 1930, tout en posant potentiellement de nouveaux défis pour les finances communales, notamment dans les régions touristiques.

Les réformes du droit immobilier s’accélèrent.

Crise de logement et densification

Notre pays enregistre un taux de vacance historiquement bas de 1,08 % en 2024 (contre 1,72 % en 2020) au niveau national, avec des pointes dans les grands centres urbains à l’instar de Genève (0,42 %) et de Zurich (0,52 %). Pourtant, la densification du bâti – fermement ancrée dans la loi depuis l’entrée en vigueur de la Loi fédérale sur l’aménagement du territoire (LAT) révisée – se heurte à des procédures souvent (trop) longues devant les autorités compétentes et à des oppositions fréquentes de tiers. 

Dans ce contexte, plusieurs initiatives appellent à moderniser le droit de l’aménagement du territoire et de la construction. La Société suisse des entrepreneurs (SSE) propose par exemple d’accélérer l’octroi de permis de construire en en réduisant les obstacles réglementaires et en limitant les oppositions abusives. Wüest Partner propose (pour l’instant pour le canton de Zurich) d’augmenter le coefficient d’utilisation du sol lorsque le projet vise à construire des logements abordables.

Possible durcissement genevois et adoucissement vaudois

Genève dispose depuis environ 40 ans d’un arsenal juridique unique dans le pays : la Loi sur les démolitions, transformations et rénovations de maisons d’habitation (LDTR) assujettit certaines opérations pouvant réduire l’offre de logements à l’obtention d’autorisations préalables et à un contrôle des loyers. De plus, les autorités disposent depuis 1973 d’un droit de préemption dont la vocation première était de leur permettre d’acquérir des terrains constructibles pour y construire des logements d’utilité publique (LUP). 

En mars 2025, l’ASLOCA locale a lancé une initiative cantonale pour renforcer ce dispositif législatif pourtant déjà musclé : cette initiative vise notamment à donner la possibilité aux collectivités publiques de préempter l’acquisition d’immeubles bâtis « si la pénurie de logements touche une des catégories d’appartements visés » et à accorder aux autorités un droit de préemption obligatoire en cas de prix de vente « manifestement exagéré » d’un immeuble locatif. Ces dispositions reviendraient à instaurer un contrôle sur les prix de vente d’immeubles locatifs résidentiels. 

Il suffit cependant de lancer un coup d’œil dans le canton voisin pour s’apercevoir que l’effet des droits de préemption sur la construction de LUP est très limité voire quasiment inexistant. En effet, Conseil d’Etat vaudois a récemment constaté que depuis l’entrée en vigueur de la Loi sur la préservation et la promotion du parc locatif (LPPPL), une loi comparable à la LDTR, seuls 178 sur un total de 3508 nouveaux logements (soit environ 5 %) ont été créés grâce à l’exercice d’un droit de préemption qu’elle a instauré. La révision en cours initiée par la « Motion Jobin » entend garantir un loyer post-travaux au moins égal aux plafonds des loyers dits « abordables » pour ne pas bloquer les rénovations nécessaires à la décarbonation du bâti. 

Finalement, le canton a initié en 2022 sa « Vision logement » afin d’identifier les pistes devant lui permettant de lutter contre la crise du logement par le biais notamment d’une révision de la Loi sur l’aménagement du territoire et les constructions (LATC) et du Plan directeur cantonal (PDCn).

En résumé : Un droit immobilier en pleine évolution

Le droit immobilier suisse évolue à grande vitesse. Il conviendra de répondre aux défis concrets de la crise du logement et de la protection des locataires – tout en évitant de freiner la construction de nouveaux logements qui permettrait justement de répondre à ces défis, ou la transition énergétique, à l’instar du canton de Vaud. 

Les mois et années à venir seront décisifs : plusieurs initiatives populaires, révisions de lois et autres travaux parlementaires majeurs vont façonner un nouveau cadre juridique en matière immobilière. Espérons que législateur et milieux immobiliers trouveront le juste équilibre. Le défi est de taille !

Texte Charles Gschwind, avocat associé en droit immobilier chez Baker McKenzie et membre du Comité du SVIT Romandie

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