motif vectoriel sans couture représentant un groupe de femmes multinationales dans un style minimaliste plat et branché.
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Éditoriaux Femmes

À l’écoute des femmes

15.04.2025
par SMA
Marcia Tschopp-Crettaz,Répondante au Bureau Information Femmes

Marcia Tschopp-Crettaz
Répondante au Bureau Information Femmes

Hélène a appelé tôt ce matin. Le premier téléphone. Une voix qui oublie de respirer, des mots dans tous les sens, du soulagement d’avoir réussi à quitter et de l’inquiétude sur l’après. Elle a enfin réussi à partir de la maison, à lâcher son homme, ça faisait trop longtemps qu’elle ne se reconnaissait plus dans cet enfer. Trop d’humiliations, trop de moqueries, trop de refus de s’expliquer et les cris aussi quand il a un verre de trop, devant les enfants.

A la veille du week-end, elle a repensé à sa collègue et amie, à son invitation souvent répétée de débarquer chez elle. Un sac, trois affaires et loin avec ses deux petits avant le retour du travail de son mari. Elle se trouve courageuse, se sent fière même, mais n’a aucune idée de la suite. Comment faire avec son salaire d’un travail à 60 %, comment amener le plus grand à l’école et la petite à la maman de jour le matin et puis est-ce qu’elle a aussi signé le contrat de location de l’appartement, est-ce qu’ils ont des dettes. Il ne répond jamais quand elle le questionne sur leur situation matérielle, il lui demande de régler le loyer, de payer telle ou telle facture avec son salaire à elle.

Une heure plus tard, elle arrive et raconte à nouveau. C’était tellement fort leur amour du début et puis tout a foiré avec les ennuis au travail, l’arrivée des enfants, les critiques des beaux-parents, son départ à elle pour les problèmes de santé de sa mère. Il a changé, elle aussi sûrement et ils n’ont plus trouvé le chemin, elle a souvent désiré qu’ils cherchent de l’aide, lui ne voulait surtout rien dire à personne. Elle a essayé de supporter, de moins rencontrer les amis, la famille. Elle n’avait plus d’autre choix que de partir et pourtant ce n’était pas prévu comme ça au début de leur histoire. Elle a peur, elle se demande comment il va réagir, elle souhaiterait régler les affaires sans la guerre, se demande ce qui va lui tomber sur la tête.

Laure aussi a téléphoné avant de venir, elle voulait savoir si c’était obligatoire de donner son nom. Quand elle a appris que les entretiens étaient anonymes et confidentiels, elle a semblé rassurée.

Elle arrive au milieu de l’après-midi, son visage en partie dissimulé sous la capuche. Elle parle à mi-voix et raconte sa crainte de la police qui la suit et l’interroge. Laure en principe dort le jour, l’insomnie la garde éveillée la nuit alors elle sort et marche dans son quartier, un peu aux alentours aussi. On l’a arrêtée, fouillée. Elle se demande s’il faut porter plainte.

Quand elle a râté ses examens à l’uni il y a plus d’un an maintenant, elle a abandonné son idée d’études, c’était le deuxième échec, ses parents l’avaient prévenue, ils lui couperaient les vivres. Sa marraine la soutient mais ça ne peut pas continuer comme ça, il faut qu’elle trouve du travail, qu’elle rembourse ce qu’elle a emprunté à droite et à gauche. Si elle arrivait à dormir la nuit, ça irait mieux.

Sonia est partie ce matin du nord vaudois, en train, pour nous rencontrer. Une voisine lui a conseillé notre adresse. Elle a choisi une heure de forte affluence pour éviter d’être contrôlée, elle voyage sans billet.

Elle arrive au bout du droit au chômage, elle avait un bon travail le matin et des heures de ménage l’après-midi, puis on l’a licenciée, elle a tellement regretté son usine, elles se comprenaient entre collègues et le salaire tombait tous les mois, elle n’a rien compris de son licenciement. Depuis elle a trouvé des heures de ménage en plus dans deux maisons du même village. Quand elle est tombée malade, on l’a remplacée et maintenant elle n’a plus rien, au social on ne lui a encore rien promis.

Elle a deux mois de retard dans le règlement du loyer et craint le pire avec la lettre recommandée qu’elle doit retirer à la poste. Le frigo est presque vide et son ado a toujours faim, elle ça va, elle arrive à se priver mais lui, il s’énerve, lui fait des reproches. Elle le comprend et espère que son frère l’invitera pour les congés de février.

Chercher de l’aide réclame du courage, de la volonté, un désir de s’en sortir. Qu’est-ce qui a permis à Hélène, Laure, Sonia de sortir de chez elles ? Souvent, une amie, une personne de la famille, une collègue de travail sont à l’origine de la démarche, elles ont elles-mêmes fait le pas dans un moment difficile de leur vie, expérimenté les retombées de leur initiative et sont convaincantes.

Et quelle exigence alors pour les femmes à l’écoute des femmes, pour les répondantes des organismes et des associations ? Savoir être là. Être à l’écoute de ces mondes, de ces difficultés. Entendre le récit des personnes qui cherchent de l’aide et s’en tenir à ce qu’elles disent de leur histoire dans le moment de la rencontre. Respecter les silences. Être touchée sans être envahie. Être authentique dans ses paroles et dans ses gestes. Et réaliser ce qui est en jeu, comprendre l’urgence.

Il s’agit d’appréhender l’énigme posée par les situations, de convoquer son intelligence, de penser un peu autrement, d’accepter de ne pas tout comprendre. Dans l’incertain, le brouillard, les contradictions parfois des récits, quels mots sont utilisés, comment les émotions s’expriment ? Cette observation permet à l’écoutante de s’ajuster dans l’échange, de savoir poser les questions pour nommer la difficulté, la souffrance, pour soutenir le récit de la situation. Ce récit, parfois, produit déjà un effet. Il amène à des prises de conscience, apporte des réponses à celle qui se sent écoutée. En parallèle, il y a à faire confiance en la personne qui cherche à s’en sortir, à la renforcer dans ses propres capacités.

Il s’agit donc d’être impliquée avec sa sensibilité, son intuition, son intelligence, ses connaissances.

Chercher de l’aide réclame du courage, de la volonté, un désir de s’en sortir. – Marcia Tschopp-Crettaz, Répondante au Bureau Information Femmes

Et en continu, de s’interroger sur les ressources et les connaissances à développer pour être en phase avec l’évolution des problématiques. L’exercice est ambitieux et exige réflexion, échanges en équipe, remises en question, formation continue.

Avoir envie d’être là, c’est l’essentiel. Envie de découvrir des mondes, d’évoluer dans ses représentations. Chaque rencontre est susceptible d’apprentissage et de questionnement. Pour toute personne éprouvée, se sentir écoutée, informée, conseillée c’est souvent le premier pas pour reprendre le contrôle de son histoire.

Prénoms fictifs et situations imaginées mais largement inspirées de nos expériences.

Texte Marcia Tschopp-Crettaz, Répondante au Bureau Information Femmes

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