En matière d’énergie, la Suisse doit-elle se tourner vers des sources énergétiques plus durables et plus locales? C’est une question souvent débattue, mais en réalité presque obsolète. En effet, le cadre légal existant et en préparation a déjà clairement mis la Suisse sur cette trajectoire. Reste à savoir comment concrétiser au mieux ces ambitions, en assurant la sécurité d’approvisionnement et des coûts compétitifs, des points centraux pour les entreprises et l’économie.
Si l’on examine les enjeux de plus près, il apparaît rapidement que quelques coups de baguette magique ne suffiront pas à transformer le bouquet énergétique suisse. Actuellement, les hydrocarbures couvrent toujours 63% de nos besoins et les énergies renouvelables aux alentours de 20%. L’enjeu est donc clair: pour aller dans la direction souhaitée, il faut trouver des alternatives valables aux énergies fossiles. Très concrètement, ces dernières assurent actuellement l’essentiel des besoins dans les deux domaines où l’on consomme le plus d’énergie: le chauffage des locaux et la mobilité.
Dans cette fine mécanique, un rouage peu visible s’est mis en route ces dernières années, qui aidera à atteindre le but visé. La consommation énergétique de la Suisse s’oriente en effet à la baisse, ce qui est remarquable compte tenu de l’augmentation de la population, du parc de véhicules et de la croissance économique. Depuis les années 2000, le lien qui existait entre la hausse de la prospérité et la consommation d’énergie s’est cassé. On peut partir du principe que cette tendance se maintiendra à l’avenir.
L’électricité jouera un rôle central
L’approbation par le peuple de la stratégie énergétique 2050 a marqué un tournant. Elle fixe des objectifs d’économie d’énergie et d’augmentation de la production d’électricité renouvelable. Ce dernier point est crucial car l’électricité jouera un rôle clé dans le nouveau paysage énergétique. La Suisse doit d’une part remplacer la perte de production due à l’arrêt progressif des centrales nucléaires. D’autre part, une moindre consommation d’énergies fossiles impliquera une utilisation accrue d’électricité. Ceci, notamment pour alimenter des véhicules ou des pompes à chaleur.
Sommes-nous sur la bonne voie pour consolider l’approvisionnement électrique de la Suisse? Certes, la production d’électricité renouvelable a décollé depuis 2010, mais on est encore loin du compte. Ce sont avant tout les panneaux solaires qui connaissent un bond en avant. En revanche, les éoliennes et l’énergie hydraulique stagnent car elles se heurtent à de fortes oppositions, ce qui est paradoxal. Pour débloquer la situation, le Conseil fédéral propose de prolonger le subventionnement du renouvelable bien au-delà de ce qui avait été accepté par le peuple.
Cette proposition risque de ne pas atteindre le but visé. Elle transforme en soutien durable un système conçu comme une aide au lancement de nouvelles techniques. Pour que ces dernières deviennent de vraies alternatives, elles doivent au contraire devenir viables sans dépendre de la manne étatique. C’est par exemple ce qui se passe pour le photovoltaïque, dont les coûts ne cessent de baisser. Par ailleurs, les subventions ne seront d’aucun secours pour lever les blocages évoqués plus haut.
Tant qu’ils persisteront, il ne sera pas possible de recourir à toute la palette des sources de production renouvelables. Une telle diversification s’avère pourtant nécessaire pour renforcer le système et permettre de mieux coller aux variations saisonnières de la consommation. En l’occurrence, la Suisse a déjà un problème d’approvisionnement en fin d’hiver. Si l’on y ajoute la hausse prévisible des besoins en électricité, l’équation se complique. Pour la résoudre, il s’agira de rester pragmatique et de considérer toutes les solutions possibles, y compris les importations et l’utilisation de centrales à gaz comme réserve de sécurité.
Un bannissement des hydrocarbures se profile
La politique climatique représente l’autre moteur de la transition énergétique. Le Parlement vient de réviser la loi sur le CO2 et de fixer des objectifs ambitieux pour 2030. Pour les atteindre, il faudra diminuer sensiblement la consommation d’énergie fossile. Le Parlement a pris des mesures fermes pour y parvenir, dont un quasi-bannissement des chauffages à mazout ou à gaz. La nouvelle loi n’était même pas sous toit que le Conseil fédéral annonçait l’étape suivante, qui vise à atteindre «zéro émission nette» d’ici 2050. Cela signifie qu’il ne faudra pratiquement plus brûler d’hydrocarbures et absorber d’éventuelles émissions résiduelles de gaz à effet de serre. Si ce projet passe le cap politique, la situation sera limpide: l’approvisionnement énergétique de la Suisse devra complètement muter d’ici une trentaine d’années.
Inciter les entreprises à devenir actrices du changement
Des changements d’une telle ampleur impliquent des investissements massifs, ce qui ouvre des perspectives économiques intéressantes. Il n’en reste pas moins qu’il s’agit de considérer l’économie dans son ensemble. Le coût de la transition énergétique doit rester supportable pour les citoyens et les entreprises. La Suisse a notamment la chance de conserver une industrie forte, qui a besoin de conditions compétitives face à la concurrence. Or, les mesures déjà en place dans le domaine climatique ou énergétique ont souvent des relents étatistes et protectionnistes. Elles entraînent aussi une hausse des coûts, en particulier sous forme de taxes. Pour que les entreprises puissent pleinement apporter leur contribution au changement, il faut au contraire privilégier des marchés ouverts, propices à l’émergence des innovations nécessaires pour concrétiser le grand tournant souhaité.
Texte Dominique Rochat, Responsable de projets énergie, environnement et infrastructures, Economiesuisse
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