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«J’ai accepté ma maladie et j’ai été mon premier amour»

25.03.2020
par Andrea Tarantini

À l’âge de 12 ans, les médecins diagnostiquent à Roxanne un ostéosarcome. Depuis, elle subit plusieurs traitements, fait des récidives qui l’obligent à être hospitalisée et se fait opérer plus d’une fois. Aujourd’hui, heureuse et en bonne santé, elle nous raconte son histoire.

Roxanne, quand et comment as-tu appris que tu avais une maladie? 

C’était en 2008, j’avais 12 ans. J’ai commencé à ressentir un dérangement dans le genou droit. Certaines personnes m’ont même dit que je boitais, mais moi je ne m’en suis jamais aperçue. J’ai donc pris rendez-vous chez mon médecin généraliste qui m’a prescrit des séances de physiothérapie qui ne m’ont pas aidée.

J’étais chanceuse d’avoir encore mon innocence enfantine et ma bonne humeur. Je pensais que j’allais guérir.

Étant donné que la situation ne s’améliorait pas, j’ai pris rendez-vous chez un orthopédiste. Par la suite, tout s’est enchaîné très vite: j’ai fait des radios, des IRM, des biopsies et le diagnostic est tombé. Du jour au lendemain, j’étais malade: j’étais atteinte d’un ostéosarcome, un cancer des os assez particulier qui touche principalement les enfants.

J’ai appris la nouvelle et c’était horrible, mais sincèrement je n’avais pas vraiment peur car je ne me rendais pas compte du degré de gravité de ma situation et de ma maladie. À présent, je pense que j’étais chanceuse d’avoir encore mon innocence enfantine et ma bonne humeur. Je pensais que j’allais guérir. Je ne pouvais pas mourir de ça.

Comment as-tu annoncé la mauvaise nouvelle à tes proches et à tes amis?

Les médecins ont annoncé la nouvelle à mes parents. C’est donc plutôt eux qui l’ont dit à mes frères et à mes grands-parents. Moi, j’ai tout raconté à mes amis, mais en me détachant un peu de la situation. Je leur ai expliqué que j’avais un cancer mais que j’allais me soumettre à des cycles de chimiothérapie et qu’ensuite j’allais guérir.

Quelles ont été leurs réactions?

La plupart des gens étaient tristes ou angoissés. Certains se sentaient même mal à l’aise car ils ne savaient pas quoi dire. Bien évidemment, pour mes parents, la nouvelle n’était pas facile à digérer. Les amies de ma mère l’ont beaucoup soutenue. Je ne me souviens que de ces quelques réactions.

Quel traitement as-tu dû subir?

J’ai commencé des chimiothérapies. Ça a été un choc! Ma première était la plus dure car je ne pouvais pas savoir ce qui m’attendait. C’est difficile d’expliquer comment on se sent lorsqu’on subit ce traitement. Il y a différents types de chimiothérapies. Celle que j’ai subie me fatiguait beaucoup. Pour expliquer les sensations que j’ai éprouvées, je donne souvent l’exemple du lendemain d’une soirée bien arrosée. Je me sentais comme si j’avais la gueule de bois, mais en plus lourd bien sûr.

Heureusement que le personnel du CHUV a été fantastique. Malgré la difficulté des traitements, une routine s’est vite installée et je dois remercier du fond du cœur l’équipe des soins pédiatriques pour leur écoute et leur empathie. J’ai eu des moments de rires extraordinaires! Il y avait vraiment une ambiance particulière dans cette partie de l’hôpital.

Est-ce que tu étais la plus jeune patiente à subir ce traitement?

Non, pas du tout. Il y a beaucoup de cancers qui se développent chez l’enfant et moi j’étais plus âgée que la plupart de mes voisins qui avaient environ six ans. Malgré mon âge, je ne pouvais pas leur servir d’exemple. C’étaient eux qui me soutenaient. Ces enfants avaient toujours le sourire, ils couraient et sautaient dans la chambre. C’était impressionnant. Ils avaient une force et une joie de vivre extraordinaire.

Est-ce que les chimiothérapies ont amélioré ton état de santé?

Non, j’ai fini mes premiers traitements en 2008, mais mon état de santé ne s’était toujours pas amélioré. Au contraire, un mois après le début du traitement, les médecins m’ont annoncé que je devais subir une amputation de la jambe afin d’éviter les récidives de métastases.

Il m’a fallu encore digérer cette nouvelle, ce n’a pas été facile. Cette opération allait changer mon projet de vie. Plus rien n’allait être comme avant! Mes parents et moi avons beaucoup pleuré. Mais peu à peu j’ai compris que c’était un mal nécessaire. Ainsi, j’ai dit au revoir à ma jambe droite en la massant souvent. Ensuite, arriva le jour de l’opération: le 10 septembre 2008. Je dois avouer que je ne me rappelle même pas dans quel état d’esprit j’étais. Je crois que je vivais le moment présent et, surtout, que j’essayais de ne pas penser aux heures qui allaient suivre l’opération. Au final, elle s’est bien passée, même si elle a duré six longues heures.

Physiquement et psychologiquement, comment te sentais-tu après l’opération? 

J’ai découvert les fameuses douleurs fantômes, c’était sympathique (rires). D’ailleurs, j’en ressens toujours aujourd’hui! Autrement, pendant six mois, j’ai fait de la rééducation, subi d’autres chimiothérapies et enduré d’autres hospitalisations. Mais tout ça a porté ses fruits car j’ai fini les traitements et je marchais très bien avec ma prothèse – ou pas (rires).

Ce que j’avais vécu n’était pas une faiblesse, mais plutôt une force et mon handicap n’était pas une honte, mais un atout si je le voulais.

Physiquement, j’étais plutôt bien mais psychologiquement ça n’allait pas. J’étais en pleine adolescence. Ce n’était pas facile de remarquer que j’étais différente des autres. J’ai dû vivre mon deuil. Je ne comprenais pas pourquoi les gens me repoussaient et j’ai donc commencé à me détester et à me dégoûter. À présent, je pense que tout ça faisait partie de mon deuil. Ce n’est que plus tard que je me suis rendu compte que ce que j’avais vécu n’était pas une faiblesse, mais plutôt une force et que mon handicap n’était pas une honte, mais un atout si je le voulais. J’ai donc commencé à me regarder différemment et j’ai commencé à m’aimer! J’ai accepté ma maladie, mon handicap et j’ai été mon premier amour en fait. C’est alors que j’ai réussi à me réapproprier mon corps en me forçant à masser mon moignon et en me faisant tatouer.

J’ai accepté ma maladie, mon handicap et j’ai été mon premier amour.

Pourquoi des tatouages?

Parce que j’aime ça. De plus, ils me rappellent chaque jour ce que j’ai encore et m’aident à ne pas me focaliser sur ce que j’ai perdu. C’est l’histoire du verre à moitié plein! Je voulais qu’ils soient symboliques. J’ai donc choisi un tournesol pour les hanches, car ces fleurs se tournent toujours vers la lumière. Autrement, j’ai un renard sur la côte, car j’aime beaucoup le Petit Prince: je suis rêveuse comme lui et j’ai un monde imaginaire qui m’appartient, ce qui m’a aidé pendant les périodes les plus sombres. J’adore surtout le personnage du renard. Comme lui, je pense qu’«on ne voit bien qu’avec le cœur, l’essentiel est invisible pour les yeux».

T’es-tu aussi réappropriée ta féminité?

Oui, naturellement. Me réapproprier mon corps m’a aussi permis de me sentir belle et féminine. Récemment, dans ce but, j’ai proposé à une amie photographe de réaliser un projet ensemble. J’ai posé devant l’objectif et j’étais à l’aise avec ma propre image.

On ne voit bien qu’avec le cœur, l’essentiel est invisible pour les yeux.

Après l’opération allais-tu mieux en termes de santé? 

Non, toujours pas. J’ai dû subir d’autres chimiothérapies en 2009 parce que j’ai eu une récidive aux poumons. Les médecins m’ont annoncé que ces cycles de traitement allaient diminuer, voire détruire totalement ma fertilité. Sur le moment, je n’ai pas vraiment réagi à cette nouvelle. De toute façon, je ne pensais pas survivre longtemps. Cependant, récemment, j’ai suivi un traitement pour préserver ma fertilité et, heureusement, il a marché.

Il a aussi fallu opérer, ce qui m’a laissé une grosse cicatrice qui traverse tout mon thorax de droite à gauche. Je pense que c’est à ce moment que j’ai compris que la situation était plus grave que ce que je pensais. Mon état de santé était comme un voyage sur des montagnes russes et c’est pour cette raison que j’ai dû développer un mode de survie. J’ai appris à vivre le moment présent: chaque jour était un autre jour et c’était un jour de plus. Je me suis forcée à ne pas penser au lendemain et à ne pas me projeter dans l’avenir. C’était difficile, surtout parce que j’étais encore adolescente, mais c’était nécessaire.

Ensuite, j’ai eu d’autres récidives en 2011 et, à cause d’une toxoplasmose, j’ai fait aussi une détresse respiratoire avec complications. Mes globules blancs étaient vraiment au plus bas et mon corps n’en pouvait plus évidemment. Je suis tombée dans le coma et j’ai été sous intubation pendant quatre jours.

En décembre de cette même année, je suis repartie pour un tour: récidive de métastases et opérations. Quelle joie! Bref, niveau santé j’avais presque tout supporté. Il me manquait seulement une autre récidive, mais à l’intestin cette fois. C’était en 2013! Il n’y a que deux personnes au monde, moi comprise, qui ont eu une métastase osseuse à l’intestin, je suis une VIP (rires)! Pour cette dernière récidive, j’ai pris des traitements par voie orale qui avaient moins d’effets secondaires et qui m’ont donc permis d’avoir une vie plus normale. Même si ces retombées étaient aléatoires et que je n’avais pas vraiment une vie simple, car les récidives pouvaient se développer à tout moment.

J’ai appris à vivre le moment présent: chaque jour était un autre jour et c’était un jour de plus.

Tu étais encore une enfant. Est-ce que ta maladie t’a fait grandir plus vite?

Oui! Très vite. Elle m’a fait me rendre compte de certaines choses plus rapidement. Je me suis posée des questions essentielles de la vie, qui ne sont pas et ne devraient pas être un souci pour une enfant de 12 ans. Dès le début, j’ai été baignée dans le vocabulaire médical et j’étais déjà très différente de la Roxanne que j’étais avant de commencer la chimiothérapie. Mes amis ne me comprenaient pas. Pendant l’adolescence, on a des priorités d’adolescent: on veut avoir des bonnes notes, tomber amoureux et s’amuser. Ma priorité c’était de survivre, de ne pas mourir. Je me sentais donc forcément plus mature que mes amis.

Et aujourd’hui, comment vas-tu?

Je vais bien! J’ai des bilans médicaux tous les six mois afin de prévenir les récidives et d’autres types de cancers. Tant que je suis suivie, il y a moins de risques de rechutes à l’improviste. Pour l’instant tout va bien, je suis en bonne santé et j’ai de nouveau des cheveux (rires).

Je dois néanmoins avouer que ces temps, à cause du Coronavirus, ce n’est pas facile. Étant donné mon vécu médical, je suis considérée comme une patiente à risque et je suis donc confinée chez moi. Je crois que j’ai réactivé en quelques sortes mon mode de survie. Après les récidives, quand j’allais mieux, je n’en avais plus besoin car je pouvais vivre normalement, mais je garde tout de même ce mode pour les situations comme celle d’aujourd’hui. Après mes récidives, j’ai eu peur de toutes les maladies et de retomber malade. Je devais reprendre confiance en ma santé. Je pense que j’y ai réussi car, étrangement, je vis bien cette situation de confinement et je n’angoisse pas.

Est-ce que ton mode de survie actuel a les mêmes caractéristiques que celui que tu avais activé lorsque tu étais malade?

C’est grâce à mon vécu que j’ai, à présent, une vie formidable.

Non, pas tout à fait. Aujourd’hui, je peux me projeter dans ma vie et j’ai des projets. Je suis heureuse et plus forte.

J’ai vraiment appris à utiliser ce passé compliqué et c’est grâce à mon vécu que j’ai, à présent, une vie formidable. Tout ce que j’ai vécu m’a changée. Par exemple, j’ai beaucoup de mal à me plaindre aujourd’hui, car je sais que ma vie est un miracle, comme le dit le chanteur Soprano. J’apprécie davantage les choses à présent et je me concentre sur l’essentiel. J’arrive à moins me prendre la tête pour de petits détails. Autrement, je suis aussi plus sûre de moi.

Je pense donc que mon mode de survie a également subi une grande transformation. En effet, avant j’étais en mode survie alors que maintenant, grâce à ce mode survie, je suis en mode vie. Et qu’elle est belle ma vie! C’est donc grâce à mon vécu que je suis comme je suis: toujours optimiste et positive. Je suis consciente d’avoir vécu des choses plus compliquées que ce que je pourrais vivre dans l’avenir et je n’ai jamais été autant en harmonie avec moi.

Grâce à ce mode survie, je suis en mode vie.

Tu es vraiment forte et courageuse. Cette force, tu la puises donc de ton passé?

Peu importe les choses qui m’arriveront dans la vie, je sais que j’arriverai à me relever car je l’ai déjà fait. Mon futur est donc tout en descente et je n’ai que du positif devant moi. Oui, je pense que mon passé me donne la force nécessaire pour aller de l’avant. Mais je crois que c’est surtout de mon amour pour la vie que je puise mon énergie positive. Et c’est cet amour qui me fait prendre conscience de la perfection de mon passé et qui me fait déjà apprécier mon futur.

Comment vois-tu ton futur?

Aujourd’hui, je suis une formation d’assistante médicale et j’aime vraiment ce que je fais. Grâce à ma formation, j’ai appris à reconnaître ce qui est grave au niveau médical et ce qui ne l’est pas. Avant, mon vécu modifiait mon échelle de gravité. En 2009, par exemple, j’avais pris conscience de ce qui m’arrivait mais je ne me suis pas concentrée sur cette gravité car, à force, on s’habitue aux mauvaises nouvelles et à la maladie qui devient toujours un peu moins grave. En revanche, maintenant je sais quelles maladies sont graves et je suis plus objective.

C’est surtout de mon amour pour la vie que je puise mon énergie positive.

J’ai aussi des amis superbes et une famille fantastique. Et cette année, je vais avoir 25 ans. C’est un bel âge et je suis heureuse de pouvoir profiter de chaque instant de ma vie. C’est précieux! J’ai vraiment de la chance d’être en pleine santé et je croque la vie à pleines dents.

Photos Tania Emery

Interview Andrea Tarantini

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