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«Regretting Motherhood»: un sujet tabou

21.07.2020
par Andrea Tarantini

Être mère est le plus grand bonheur dans la vie d’une femme. C’est du moins ce que la société nous enseigne. Mais que se passe-t-il lorsqu’il devient évident que l’on regrette d’être mère? Depuis 2015, il existe un anglicisme spécifique pour ce phénomène: «Regretting Motherhood». Qu’est-ce qui a changé à cet égard au cours des cinq dernières années? Comment le fait de regretter sa maternité peut affecter un enfant?

«Je ne me sens pas à l’aise dans le rôle de mère. Je me sens prise au piège». «J’avais imaginé la maternité de façon très différente. Cela ne me comble pas». «Je ne peux pas m’identifier à mon enfant, et encore moins l’aimer». Ces phrases peuvent surgir lorsque des mères regrettent leur maternité. Aujourd’hui, ce phénomène relève d’un tabou social. Néanmoins, depuis 2015, grâce à l’étude de la sociologue israélienne Orna Donath, ce phénomène a un nom. Au cours de cette étude, cette dernière a en effet mené des entretiens avec 23 compatriotes qui regrettaient leur maternité.

Une étude israélienne, mais un débat allemand

Publiée en Israël, l’étude a déclenché un débat sans précédent en Allemagne, à plusieurs milliers de kilomètres de là. Alors qu’en Israël, «Regretting Motherhood» n’a fait sensation que pendant une semaine, le débat en Allemagne a duré plusieurs mois. Les publications avec l’hashtag #regrettingmotherhood ont inondé les réseaux sociaux. Aujourd’hui, dans les forums, les personnes concernées échangent encore leurs points de vue sur le sujet.

«Regretting Motherhood» conquiert la culture pop

Peu de temps après la publication de cette étude, d’autres ont suivi. Par exemple, en février 2016, Sarah Fischer a publié «The Mother’s Happiness Lie», un livre sur sa propre expérience de regret de la maternité. À la même période, la journaliste Esther Göbel a publié «Die falsche Wahl: Wenn Frauen ihre Entscheidung für Kinder bereuen», dans lequel elle examine le contexte social de ce phénomène. Ainsi «Regretting Motherhood» a même trouvé son chemin dans la culture pop. Par exemple, Charlotte Roche décrit son roman «Mädchen für alles», publié en 2015, comme un traitement de l’étude d’Orna Donath. «Lasse» de Verena Friederike Hasel aborde également le phénomène et le décrit dans un récit fictif.

Les mères sous pression

Paula Diederichs, de Berlin, est pédagogue sociale, thérapeute en psychothérapie corporelle ainsi que formatrice et superviseure spécialisée dans la grossesse, la naissance et la petite enfance. «Il y a quelques années, Orna Donath était ici à Berlin. Elle nous a expliqué que les femmes israéliennes sont soumises à une pression complètement différente de celle que nous connaissons lorsqu’il s’agit de porter des enfants.

De plus, lorsqu’elle discute de ce sujet, Orna Donath est souvent critiquée publiquement alors que, anonymement, elle reçoit parfois des félicitations pour son travail et son étude», rapporte-elle. Mais pour comprendre les critiques qui lui sont adressées, il faut creuser un peu plus. En effet, ce sont les attentes que nous avons tous au sujet de la maternité qui mènent les gens à critiquer Orna Donath et son travail. «Le sujet de la maternité est souvent associé à une sorte de halo. La maternité est toujours présentée comme quelque chose de bon et de grand», explique Paula Diederichs. Néanmoins, cette image est un mythe «car il y a aussi un côté sombre à la maternité, précisément celui où la femme ne peut pas s’identifier au rôle de mère ou ne veut pas avoir son enfant», explique l’experte.

Une image idéalisée

Cette image idéalisée de la maternité est aussi la raison pour laquelle «Regretting Motherhood» est un sujet tabou. «Toute mère veut être une bonne mère, sinon la meilleure, car cela est fermement ancré dans notre biologie comportementale», raconte l’experte. Si cela ne réussit pas, des conflits massifs surgissent, non seulement avec soi-même, mais aussi avec la société. «Nous vivons dans une méritocratie. La maternité exige de la performance, même si ce n’est pas de façon linéaire, comme c’est le cas dans le monde professionnel», résume Paula Diederichs.

Les pères regrettent aussi

La question de la «paternité regrettée» surgit relativement peu souvent dans les discussions sur le sujet. Là aussi, la raison réside dans la biologie comportementale. «Comme ce sont les femmes qui portent les enfants, cette relation est beaucoup plus étroite et plus intense dès le début. De plus, généralement, les hommes sont réticents à parler de leurs sentiments», commente Paula Diederichs. «Cependant, il est important de souligner qu’il n’est pas vrai de dire que les pères éprouvent moins d’émotions que les mères par rapport à leur paternité».

La lumière dans l’obscurité

«Lorsque vous mettez en lumière un sujet tabou, cela active toujours des processus sociaux», remarque Paula Diederichs. «L’étude de Orna Donath est très importante car elle a également remporté plusieurs prix et a permis de sensibiliser le public». Néanmoins, elle peut aussi créer de l’incertitude. «Regretting Motherhood» peut amener les femmes qui veulent devenir mères à éprouver un sentiment d’incertitude relatif à leur futur rôle de mère. «La conception actuelle de la vie joue un rôle majeur. Après tout, vivre avec des enfants représente un changement radical», déclare l’experte.

Ainsi, les personnes organisées peuvent redouter l’arrivée des enfants dans leur quotidien. «La vie quotidienne avec les enfants ressemble souvent au principe du chaos: on peut faire des projets, mais on doit s’attendre à ce qu’ils soient changés». De plus, le rôle de mère ne ressemble à aucun autre rôle. Par exemple, avoir du succès au travail ne signifie pas nécessairement avoir du succès en tant que mère. Selon l’experte, certaines femmes déclarent: «je dirige une entreprise de plusieurs centaines d’employés, mais j’atteins mes limites dans mon rôle de mère».

Aider les mères

Comment peut-on aider les mères qui regrettent d’être mères? «Il est important de prendre leurs sentiments au sérieux, d’en parler et de ne pas simplement les condamner», conseille Paula Diederichs. Il est également important de clarifier les raisons éventuelles de ces sentiments. Est-ce le travail qui nous manque? Est-ce qu’on se sent limitée et déterminée par autrui? «Il est aussi possible de développer un plan afin que la mère se sente mieux. Par exemple, pendant un jour ou deux, l’enfant peut être pris en charge par une autre personne de la famille. Si cela ne suffit pas, il y a bien sûr des mesures plus drastiques. Paula Diederichs raconte: «un jour j’ai été contactée par une femme qui envisageait sérieusement de donner l’enfant en adoption».

Pourquoi l’enfant est-il affecté par ce phénomène?

Souvent, les femmes qui regrettent leur maternité se demandent comment elles peuvent procéder pour ne pas nuire à l’enfant. «Ce n’est pas possible en soi», répond fermement l’experte. «Si une mère rejette son enfant, elle ne peut pas faire semblant de l’aimer. Elle doit le traiter de manière authentique parce que, de toute façon, l’enfant ressent le rejet». Il faut encourager la mère à rester fidèle à ses sentiments et, lorsqu’elle se sent mieux, elle doit pouvoir montrer à l’enfant qu’elle l’aime. «Il est important que l’enfant soit également pris en charge par des personnes avec lesquelles il se sent à l’aise», explique Paula Diederichs.

Synchronisation ou animation

Le phénomène du «Regretting Motherhood» déforme donc aussi la psyché de l’enfant. En effet, l’enfant peut se poser la question suivante: «qu’est-ce qui fait que ma maman ne m’aime pas? «Ainsi, l’image de l’enfant se déforme aussi», ajoute l’experte. «En général, ce phénomène mène l’enfant à synchroniser l’état d’esprit de sa mère ou à vouloir constamment animer sa mère. Dans tous les cas, cela influence de façon cruciale le caractère et l’identité de l’enfant.»

Il est donc essentiel de parler de ses sentiments à l’enfant. Le fait qu’il s’agisse d’un sujet tabou rend la tâche encore plus difficile, mais c’est exactement pour cela qu’un discours ouvert est important. En effet, le phénomène dépend aussi de l’image que la société a des mères. Briser cette image est une première étape pour se sentir mieux. Avec son étude, Orna Donath a ouvert une porte, il ne nous reste qu’à la franchir.

Texte Lars Gabriel Meier

Traduit de l’allemand par Andrea Tarantini 

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