Alors que l’automne s’installe et que l’hiver approche, le Kunstmuseum de Bâle se prépare à accueillir une saison riche en découvertes artistiques sous la direction de sa nouvelle directrice, Elena Fillipovic. En poste depuis avril, elle apporte une perspective fraîche et engagée après avoir dirigé la Kunsthalle Basel, un lieu dédié aux artistes émergents. Aujourd’hui, à la tête de l’une des plus grandes institutions d’art d’Europe, elle promet une future programmation alliant grands maîtres et créations contemporaines, tout en réaffirmant l’importance de l’art face aux défis écologiques et sociétaux.
Elena Fillipovic, comment avez-vous vécu la transition entre la direction d’une institution axée sur l’art contemporain, comme la Kunsthalle Basel, et celle du Kunstmuseum ?
Ce qui est particulier, c’est d’être passée d’une institution à la pointe, qui présente l’art d’aujourd’hui et de demain, à ce qu’est le Kunstmuseum, la plus ancienne collection d’art publique au monde. La plupart des gens ne réalisent pas qu’il existait déjà une collection publique à Bâle plus de 100 ans avant le Louvre et 200 ans avant le Metropolitan Museum of Art à New York. En 1661, les bases étaient déjà posées pour cette collection. Je suis passée d’un extrême à l’autre.
Quels sont les aspects qui vous plaisent particulièrement dans ce nouveau rôle ?
Bien sûr, c’est l’engagement envers l’art, très important à Bâle. Le fait que ces deux institutions existent depuis si longtemps est significatif : dans le cas de la Kunsthalle, c’est la première institution d’art contemporain en Suisse et l’une des premières au monde. Je pense que cet esprit pionnier, si particulier à Bâle, s’étend à la culture, à la défense de l’art, à sa protection et à la compréhension de son importance. C’est pour cela que je suis dans ce poste aujourd’hui, tout comme cela m’a guidée dans mon rôle précédent. L’art relie ces deux institutions.
Un des aspects qui a vraiment été central dans ma réflexion sur le musée et son avenir est de savoir comment appliquer les stratégies que j’ai développées au cours des dernières décennies avec les artistes contemporains à ce musée ancien. Quand je dis cela, je pense que les gens peuvent parfois être un peu inquiets, craignant que je veuille rendre ce musée « contemporain », mais ce n’est absolument pas mon objectif. Je veux respecter ses origines et son histoire, mais je veux aussi le rendre pertinent pour aujourd’hui. Je veux montrer que ces œuvres vieilles de 500 ans ont encore un sens pour nous. Comment les rendre plus accessibles, plus dynamiques, plus ouvertes ? Comment raconter ces histoires pour que les jeunes générations réalisent qu’un Christ mort, peint il y a 500 ans de manière explicite et morbide, parle de traumatismes, de deuil, de perte, de mortalité – des thèmes qui résonnent toujours dans notre expérience actuelle.
Quelles expositions et événements le Kunstmuseum a-t-il prévus pour la saison automne/hiver ?
Nous avons de nombreux projets en préparation. Bientôt, nous ouvrirons une grande exposition dédiée à l’artiste portugaise-britannique Paula Rego, une figure engagée et féministe. Elle a travaillé avec des pastels, dessins, peintures, gravures et marionnettes, révélés au grand public lors de la Biennale de Venise en 2022. Bien connue au Portugal et au Royaume-Uni, elle est encore peu connue en Suisse, malgré son influence. Rego a notamment créé des œuvres contre la guerre en Irak et une série sur l’avortement dans les années 1990. Décédée en 2022, « Power Games » est sa première grande rétrospective posthume. Ce titre reflète bien les dynamiques de pouvoir présentes dans son travail.
Nous avons aussi réorganisé notre collection d’art d’après-guerre, offrant une nouvelle perspective avec davantage de femmes et d’artistes de couleur. Une exposition surprise est en préparation, alliant œuvres historiques et contemporaines, un projet qui me tient à cœur pour relier passé et présent.
Y a-t-il des expositions incontournables que les visiteurs ne devraient pas manquer ?
Nous avons récemment décidé de prolonger l’exposition « When We See Us » jusqu’au 24 novembre, en raison du grand intérêt du public. C’est une exposition à ne pas manquer. Il est fascinant de voir comment une communauté de personnes de couleur est venue en nombre, se sentant enfin représentée, mais aussi un public plus large, intrigué par cet enjeu historique rarement abordé dans les musées.
L’exposition retrace 100 ans de représentation noire en art, où des artistes de couleur se sont réappropriés leur image. Cette exposition, après des années de recherche menée par Koyo Kouoh du Zeitz MOCAA au Cap, fait sa première étape en Europe ici, au Kunstmuseum. Nous sommes très fiers d’avoir consacré tout notre bâtiment contemporain à ce parcours qui couvre plus de 100 ans d’histoire.
Comment le musée sélectionne-t-il les artistes ou les œuvres à présenter ?
C’est une question complexe, un peu comme l’amour : parfois, on trouve un projet au bon moment sans s’y attendre. Ma vision est que le musée doit fonctionner à deux vitesses : une planification à long terme, mais aussi la capacité de réagir rapidement aux opportunités, comme avec l’exposition surprise que nous préparons. Nous partons toujours de la collection pour combler les lacunes et l’enrichir. Par exemple, pour l’exposition « When We See Us », nous avons voulu renforcer la représentation des artistes de couleur. Nous avons aussi organisé « Made In Japan », une exposition principalement constituée de notre propre collection, ce qui a surpris le public.
Quels types d’activités ou d’ateliers proposez-vous pour les familles et les enfants pendant cette période ?
Le musée propose de nombreuses activités, comme une journée familiale prévue pour le 3 novembre, qui est gratuite et où de nombreuses animations sont organisées dans tout le musée. Nous avons des ateliers pour enfants chaque troisième dimanche du mois. Depuis quelques années, nous organisons également des vernissages pour enfants, avec des projets spécifiquement liés à l’exposition. Les parents peuvent ainsi assister au vernissage pendant que leurs enfants découvrent l’art à leur manière, et tout le monde rentre chez soi après avoir vu l’exposition. Nous avons même constaté que certains enfants en parlent à leurs amis, et ce sont maintenant les enfants qui demandent à leurs parents de les emmener au musée, même si les parents ne sont pas toujours intéressés ! Cela a créé un véritable public jeune, et nous avons un vernissage pour enfants prévu pour l’exposition Paula Rego, le 27 septembre.
Comment voyez-vous le rôle du Kunstmuseum ?
L’enjeu principal est que le musée devienne un lieu où les gens veulent passer du temps, un endroit accueillant, où il y a toujours quelque chose de nouveau à découvrir, surtout pendant les fêtes, quand les gens se retrouvent en famille ou entre amis. Je dis souvent que nous avons compris, en tant que société, que pour être en bonne santé, il faut aller à la salle de sport. De la même manière, je pense que l’œil, l’esprit et le cœur sont aussi des muscles. Si le sport aide à renforcer les biceps, le musée est là pour renforcer l’œil, l’esprit et le cœur. Plus le public passe de temps à observer l’art, plus il devient apte à comprendre comment les images, à travers les époques, nous parlent, nous mentent parfois, ou nous racontent une histoire. Aujourd’hui, nous vivons dans une époque où les images nous sont jetées en permanence (réseaux sociaux, journaux, télévision…), nous sommes constamment sollicités, et pourtant, en tant que société, nous n’avons pas toujours les outils pour discerner le vrai du faux. Les musées peuvent jouer un rôle éducatif fondamental à cet égard.
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