« la nature a pris une place prépondérante dans les débats »
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Business Finance Innovation

« La nature a pris une place prépondérante dans les débats »

15.06.2023
par Léa Stocky

La finance peut-elle contribuer à la reconstruction de la nature ? C’est en tout cas ce que soutient Mark Halle, conseiller principal auprès de Nature Finance, une organisation établie à Genève en octobre 2023. Le but de cette dernière est de faire en sorte que toute transaction financière ne nuit pas à la nature et ait un effet positif sur les écosystèmes. Dans cette interview, il nous explique le rôle de la finance dans la protection des écosystèmes.  

<b>Mark Halle</b><br />Conseiller principal auprès de Nature Finance

Mark Halle
Conseiller principal auprès de Nature Finance

Mark Halle, qu’appelle-t-on la finance durable? 

Il s’agit de toute forme de transactions financières qui profite au développement durable en ne nuisant pas au climat et en ayant un effet bénéfique sur la nature. La finance durable concerne aujourd’hui les trois piliers du développement durable : économie, environnement et social. Elle attache donc aussi une importance particulière aux thèmes de justice sociale, d’élimination de la pauvreté et d’inclusion.

La notion de finance durable vient du constat qu’une grande partie des actions financières a un effet négatif sur le climat et qu’à long terme, cela entraînera une destruction de la planète. La finance a donc un grand rôle à jouer dans la protection de la biodiversité car elle permet l’activité économique. On peut parler de responsabilité morale ou légale, même si cette dernière est encore limitée. 

En quoi les schémas de financement contribuent-ils à détruire la nature? 

Si l’exploitation des écosystèmes va au-delà de la capacité de ces écosystèmes à se régénérer, on considère l’exploitation comme néfaste. La grande majorité des activités financières qui dépendent de ressources naturelles est donc négative pour la nature. Le problème aujourd’hui est le manque d’actions contraignantes : le fait qu’une entreprise détruise la nature n’a pas de conséquences négatives sur son fonctionnement, telles que l’augmentation de son niveau de risques ou son accès au crédit. 

Quels sont les risques liés aux conséquences du dérèglement climatique sur les marchés financiers? 

On sait maintenant que le changement climatique comporte un grand risque pour l’humanité mais également pour l’activité économique. En effet, toute instabilité augmente les risques des activités financières et économiques et provoque de mauvais résultats pour les investissements financiers. Dans son rapport annuel sur la perception des risques, le World Economic Forum identifie depuis plusieurs années les risques climatiques comme étant les principales préoccupations des entreprises. Si la finance a longtemps considéré qu’elle était moins concernée, les acteurs de ce secteur se rendent compte qu’ils ne peuvent plus continuer leurs activités comme avant. 

Quelles sont les actions concrètes qui peuvent être menées pour faire en sorte que les entreprises respectent plus la nature? 

Au niveau des politiques, nous essayons de développer le concept de « Nature Positive », qui promeut le fait que toute activité financière doit avoir un effet positif sur la nature. On demande ensuite aux entreprises de s’assurer que leurs activités aient un effet net zéro sur le climat. Au niveau légal enfin, la nature a des droits et ces droits peuvent être protégés dans des tribunaux. 

Quels sont les principaux acteurs de la finance durable? 

Il s’agit des banques et des investisseurs, des assurances, des fonds de pension ou encore des investisseurs institutionnels ou des bourses. Il y a aujourd’hui un grand appétit pour des investissements plus responsables. Le problème est que l’on reste dans un modèle qui a un peu de mal à bouger, avec des investisseurs qui veulent limiter les risques qu’ils prennent tout en récoltant un bénéfice réalisable à court terme et un pourcentage raisonnable. L’écart entre la demande réelle et honnête et la réalité du marché rend difficile la création d’investissements durables. On avance, mais à un rythme qui n’est pas suffisant. 

Quelles sont les innovations possibles pour plus de durabilité concernant le marché de la dette souveraine? 

Tout le monde sait que beaucoup de pays croulent sous une dette quasiment ingérable. Il n’est plus réaliste de penser que ces pays, souvent en voie de développement, seront à même de la rembourser. Nous sommes en train d’explorer certaines innovations qui pourraient régler ce problème, comme les obligations souveraines liées à la performance. L’idée est de lier la performance du pays à la protection de la nature avec l’obtention de nouveaux crédits à conditions favorables. L’année dernière par exemple, l’Uruguay a émis une obligation souveraine liée à son secteur forestier qui garantit la bonne gestion des forêts existantes et le reboisement de terrains déboisés. Si le pays atteint ses buts, il aura droit à de nombreux avantages tels que la réduction du pourcentage d’intérêts liés à cette obligation. Sinon, le prix monte. Un autre avantage est d’ordre macroéconomique : la perception de risque liée à ces pays s’améliore et le coût du capital s’abaisse. 

Du 7 au 19 décembre 2022 a eu lieu à Montréal la 15ème Conférence des partis et du 16 au 20 janvier s’est tenu le Forum économique mondial de Davos. Quels ont été les objectifs établis concernant la finance? 

Ce qui est frappant aujourd’hui, c’est que la nature a pris une place prépondérante dans les débats. Sur les 340 séances de Davos, une centaine était liée à la nature, ce qui est du jamais vu. À Montréal, pour la première fois, une journée entière a été dédiée à la finance. 

Où en est la Suisse en matière de finance durable?

En Suisse, il y a un très grand intérêt pour la finance durable notamment grâce à des associations telles que Swiss Sustainable Finance et Sustainable Finance Geneva. La Société suisse des banques a notamment ouvert des postes à des personnes qui s’occupent de la finance durable. La conférence annuelle Building Bridges prend chaque année de plus en plus d’ampleur avec des acteurs toujours plus divers et variés. Genève est une place financière très active en raison de la présence de nombreux acteurs internationaux actifs dans le domaine financier mais aussi dans le domaine de la protection de la nature tels que l’Union Internationale pour la Conservation de la Nature (UICN). 

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