Reconnus en tant que catalyseurs du développement durable, les acteurs du secteur de l’investissement continuent à développer stratégies et produits liés à la durabilité.
Sachant que plus de 90 % des cibles des objectifs de développement durable illustrent directement certains éléments des normes internationales en matière de droits de l’homme et droits du travail, et que le respect des droits de l’homme est fortement associé à la résilience de leur chaîne de valeur et à la stabilité de leur environnement opérationnel, les acteurs de l’investissement ont un rôle clé à jouer pour faire progresser les pratiques dans le respect des droits de l’homme. Qu’a-t-on accompli jusqu’à présent ?
Les droits de l’homme
Les droits de l’homme sont définis comme les droits inaliénables de tous les êtres humains visant la reconnaissance et la protection de la dignité humaine. Ils comprennent les droits civiques et politiques, les droits économiques, sociaux et culturels et les droits du travail. Les droits de l’homme universels sont décrits au sein de la « Charte internationale des droits de l’homme », des conventions fondamentales et autres instruments de l’Organisation Internationale du Travail, de lois régionales et nationales. Il existe environ 80 instruments juridiques internationaux qui définissent et établissent les droits de l’homme.
En 2011, le Conseil des droits de l’homme des Nations Unies a approuvé à l’unanimité les « Principes Directeurs des Nations Unies relatifs aux entreprises et aux droits de l’homme » (PDNU). Le PDNU est donc le premier instrument international à confier aux entreprises, et donc au secteur de l’investissement, la responsabilité de respecter les droits de l’homme. Ces principes directeurs rendent opérationnel le cadre des Nations Unies en définissant les devoirs et responsabilités des États et des entreprises.
Depuis leur adoption, les PDNU ont été intégrés dans des normes et initiatives mondiales, notamment celles de l’OCDE à l’intention des multinationales. Ces orientations complémentaires ont été publiées par l’OCDE en 2017 sous le document « Conduite responsable des entreprises à l’intention des investisseurs institutionnels ».
Le secteur financier
Au cours des vingt dernières années, l’évolution et l’intégration des droits de l’homme dans les opérations du secteur financier se sont développées par le biais d’initiatives internes, de collaborations, de normes ou de réglementations.
Au niveau des initiatives formelles, les Principes de l’Équateur (PE) sont un exemple d’intégration des PDNU. Lancés officiellement en 2003, les PE sont destinés à servir de référence commune et de cadre de gestion des risques pour les institutions financières. Environ 130 d’entre elles sont signataires des PE. Leurs objectifs sont d’identifier, d’évaluer et de gérer les risques environnementaux et sociaux lorsqu’elles financent des projets. L’intégration des droits de l’homme et des droits sociaux a évolué depuis leur création. Dans sa note d’information sur la mise en œuvre des droits de l’homme, l’Association des PE reconnaît que les institutions financières et leurs clients ont la responsabilité de respecter les droits de l’homme. Les institutions financières signataires des PE devront s’acquitter de cette responsabilité conformément aux PDNU en procédant à une vérification préalable des droits de l’homme dans le cadre des projets qu’elles financent.
En ce qui concerne les initiatives informelles, le « Thun Group » est un autre exemple. En 2011, l’année même de l’adoption des PDNU, plusieurs banques européennes ont formé un groupe de collaboration qui visait à produire un guide pour la mise en œuvre des PDNU au sein des banques universelles. Le groupe a ensuite été rejoint par d’autres acteurs du secteur, tels que les banques de détail et privées, banques d’affaires et d’investissement, et sociétés de gestion d’actifs. En octobre 2013, le « Thun Group » a publié son premier document public, un document de discussion intitulé Les principes directeurs relatifs aux entreprises et aux droits de l’homme : Une interprétation pour les banques.
Reconnaissance et mise en œuvre des droits de l’homme par les investisseurs
En 2022, l’enquête menée par le Geneva Center for Business and Human Rights sur commande de l’organisation Luxembourg for Finance a conclu que les institutions financières interrogées sont à 85% « tout à fait d’accord » et « d’accord » sur le fait que le respect des droits de l’homme est lié aux obligations fiduciaires des organisations.
En mai 2024, le Groupe de Travail des Nations Unies sur les entreprises et les droits de l’homme (Groupe de Travail) a publié un rapport sur la responsabilité des investisseurs en matière de respect des droits de l’homme dans le cadre des PDNU. Le Groupe de Travail a constaté une croissance significative des produits d’investissement et des activités liées aux approches ESG et de durabilité, ce qui indique une reconnaissance de l’importance et de l’intérêt de ces approches par les investisseurs et les autres parties prenantes. Mais qu’en est-il des droits de l’homme ? Le Groupe de Travail conclut qu’il y a un « manque de compréhension du secteur sur le fait que les critères sociaux ainsi que de nombreux indicateurs environnementaux et de gouvernance, reflètent en réalité les problématiques liées aux droits de l’homme ».
Lorsqu’ils tentent d’intégrer leurs obligations en termes de PDNU, les investisseurs sont confrontés à de grands défis : mise en œuvre des pratiques en matière de droits de l’homme dans le cadre de leurs services, allocation de ressources supplémentaires et développement d’expertises en matière de droits de l’homme à tous les niveaux de l’organisation. Mais ils se heurtent également à des obstacles qui les empêchent d’atteindre le niveau requis de mise en œuvre et d’action. Pour agir sur les droits de l’homme, il est nécessaire d’identifier et d’évaluer les risques associés de manière appropriée et matérielle. Des données suffisantes et de bonne qualité sont donc nécessaires de la part des bénéficiaires des investissements. Aussi, le traitement de ces données par les agences de notation ESG peut diverger en raison des différentes méthodologies utilisées, ce qui peut occulter le non-respect de droits de l’homme, entraînant un risque de « human rights washing ».
Réglementation
La législation relative à l’obligation de diligence et de reporting en matière de droits de l’homme se renforce de jour en jour dans le monde entier, et plus particulièrement en Europe avec de nouvelles directives telles que la « Corporate Sustainability Reporting Directive » et la « Corporate Sustainability Due Diligence Directive ». Les entreprises, y compris les investisseurs, vont devoir faire preuve d’une plus grande transparence en matière de reporting, de diligence raisonnable et d’actions visant à exercer une influence sur les entreprises investies.
La législation va engendrer davantage de données nécessaires à l’évaluation des risques en matière de droits de l’homme sur la performance des investissements ainsi que leurs conséquences sur les détenteurs de droits. Certains disent qu’il y aura une profusion de données, déplaçant la question de la quantité à la qualité. Les investisseurs devront alors être capables d’en tirer des informations pertinentes.
Les données permettront ainsi d’identifier et d’évaluer les principaux enjeux afin d’agir selon leur niveau de responsabilité, à savoir la nature du lien avec l’entreprise investie. Parmi des actions prises par les investisseurs, nous pouvons citer le fait de questionner, de sensibiliser et d’engager l’entreprise sur les risques potentiels en matière de droits de l’homme, ainsi que sur la promotion des pratiques de prévention. Dans certaines situations, les investisseurs utilisent leur position au sein du conseil d’administration pour engager des propositions d’actionnaires afin d’obtenir des améliorations dans le domaine des droits de l’homme. Selon l’OCDE, tout retrait des investissements devrait être considéré en dernier recours ou être réservé aux cas les plus graves dans certaines situations spécifiques et limitées.
Inégalités et droits sociaux
Outre le renforcement de la législation sur les droits de l’homme, l’année 2024 verra également une nouvelle étape en matière de droits sociaux. Cette année sera marquée par le lancement officiel, prévu en septembre, de la « Taskforce on Inequality and Socially Related Financial Disclosures » (TISFD) à la suite des efforts de collaboration d’un groupe de travail multipartite composé de 25 organisations des secteurs public, social et privé.
Ce cadre est présenté comme la suite logique des « Taskforce Climate Financial Disclosures » (TCFD) et « Taskforce Nature Financial Disclosures » (TNFD) publiées respectivement en 2014 et 2023. Ces documents fournissent un cadre et des recommandations aux entreprises pour qu’elles publient des informations sur la manière dont elles atténuent les risques liés au changement climatique et à la nature ainsi que leur degré de transparence quant à leur gouvernance. Les informations à fournir reposent sur quatre piliers principaux : gouvernance, stratégie, gestion des risques (et impacts), indicateurs et objectifs.
La TISFD vise à créer un cadre pour assurer l’interopérabilité avec la TCFD et la TNFD. Il s’agit d’un cadre global régissant les informations relatives aux inégalités et aux aspects sociaux que les organisations (entreprises et investisseurs) doivent publier. Afin de réduire la charge de travail des entreprises et des investisseurs en matière d’information, la TISFD rassemblera et s’appuiera sur les cadres et les normes existants, comblera les lacunes et renforcera les mesures et les indicateurs de divulgation. Ce cadre s’attachera à montrer comment les questions sociales sont évaluées selon la double matérialité à savoir les perspectives de matérialité d’impact et matérialité financière.
L’avenir
Au-delà de la réglementation et des pratiques de reporting, l’avenir des droits de l’homme dans l’investissement durable peut également être abordé par le biais de stratégies d’investissement thématiques et d’impact. Sur le marché actuel, certains acteurs de l’investissement proposent des produits visant un impact positif sur les droits de l’homme. Il semble que la réponse à la question sur l’avenir des droits de l’homme dans l’investissement durable soit une combinaison de réglementations, de normes et cadres de divulgation et de reportings d’une part, et de produits d’investissements à fort impact positif sur les droits de l’homme d’autre part.
Texte Daniela Lavrador, Directrice Romandie de Swiss Sustainable Finance
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