Projet musical indépendant, «Meimuna» est auto-produit par Cyrielle Formaz qui joue le rôle d’auteure, de compositrice mais aussi d’interprète. Un style folk et profond, un chant authentique et angélique et des paroles intimistes et touchantes qui, ensemble, créent une harmonie unique et nous invitent à découvrir un univers à fleur de peau. Dans l’interview qui suit, la jeune artiste nous ébauche les contours de son monde artistique et nous donne les clés pour mieux comprendre son projet.
Cyrielle, d’où te vient ta passion pour le chant?
J’ai commencé la musique quand j’étais toute petite parce que mes parents sont aussi musiciens. Quand j’ai eu sept ans, ils m’ont proposé de commencer à jouer d’un instrument et d’entrer en conservatoire. J’ai choisi la guitare classique, instrument qui est au centre de toutes mes compositions. Quant à la passion pour le chant, elle m’est venue naturellement et de façon autodidacte, je n’ai jamais pris de cours en fait.
Peux-tu me raconter tes débuts dans la musique?
J’ai donc commencé par le Conservatoire, avec de la musique classique. C’était vraiment strict: on nous a appris à être rigoureux. Je pratiquais beaucoup, chaque jour. Ce n’était pas toujours facile; quand on est enfant, on a juste envie d’aller jouer dehors avec des copains et on ne veut pas forcément avoir un emploi du temps si rigide. Mais j’ai été beaucoup encouragée par mes parents et mes professeurs et, une fois passé le cap de l’apprivoisement de mon instrument, c’est devenu vraiment un plaisir et je n’ai plus jamais voulu arrêter. Ce n’est qu’à 15 ans que j’ai créé mon premier groupe, Macaô et que je suis sortie du classique.
Quelle est la première chanson que tu as composée?
Elle était en anglais et s’intitulait «I am a captain», je crois que c’était une histoire un peu banale sur la liberté (rires). Avec du recul, je trouve dommage qu’au début j’aie voulu faire comme tout le monde et que je n’aie écrit qu’en anglais. Bien sûr, ça a très vite changé.
Au niveau musical, qui sont les artistes qui t’inspirent le plus?
Il y a par exemple Agnes Obel, José Gonzales et Sufjan Stevens. Je m’inspire aussi de Patrick Watson, d’Adrienne Lenker, de Bon Iver, ou encore de Fleet Foxes par exemple. Je pense qu’à quelque part, la musique classique, surtout la période Romantique continue de beaucoup m’inspirer.
Autrement d’où tires-tu ton inspiration?
J’ai fait des études d’art et j’alimente mon imaginaire de références plutôt visuelles. J’aime bien aller me plonger dans des expositions et m’inspirer de ce que je vois et ressens. J’ai toujours un carnet sur moi, dans lequel j’inscris plein de choses: des phrases d’accroche que j’entends dans la rue ou dans un film, des petites réflexions, des images, etc.. Mes rêves sont aussi une grande source d’idées et d’expérimentations: j’ai la chance de rêver énormément. Autrement, je lis beaucoup et je tire donc aussi mon inspiration de poèmes et romans.
Pour moi, la musique est un exutoire.
Si tu devais décrire la musique, quels mots choisirais-tu?
Je pense que la création c’est la liberté. D’ailleurs, celui ou celle qui fait de la musique révèle tellement de choses sur lui ou elle-même! La musique me permet d’exprimer mes sentiments d’une manière qui me ressemble complètement. Pour moi, c’est un exutoire, une thérapie, appelez ça comme vous voulez, mais je crois que la création m’aide à libérer tout ce qui resterait bloqué en moi autrement et ça me fait beaucoup de bien. Et quand on peut par la même occasion faire du bien aux autres, c’est quand même quelque chose de merveilleux non? Le partage, c’est un autre mot important.
Qu’est-ce que tu penses de la musique de nos jours?
Je pense que c’est aussi ce paramètre «humain» qui me manque lorsque j’écoute des choses hyper-produites.
Si l’on parle de la Pop «mainstream», hyper lisse, surproduite et distribuée par les géants de l’industrie musicale, je dois dire que ça ne me touche pas tellement. Quand on crée dans le seul but d’atteindre un maximum de gens, j’imagine qu’on doit abandonner toute particularité et prise de risque, et on se retrouve forcément avec quelque chose d’un peu vide. Bien sûr, j’aime aussi faire la fête et consommer de la musique sans devoir forcément me plonger dans état d’intense introspection! Mais, chez moi, j’adore écouter des artistes issus d’une scène alternative qui existe aussi et qui me touche beaucoup plus. J’adore la musique folk et acoustique, j’aime aussi entendre les instruments, leurs cordes qu’on gratte, les marteaux qui frappent les touches, des souffles, etc.. Je pense que c’est aussi ce paramètre «humain» qui me manque lorsque j’écoute des choses hyper-produites où le numérique prend le dessus sur tout, comme si on cherchait à tout prix à tout stériliser. C’est un peu trop froid pour moi.
Et comment qualifierais-tu ta musique?
C’est difficile de prendre du recul, mais j’essaye de faire de la musique qui me ressemble, qui soit intimiste, authentique, peut-être fragile à quelque part, et qui aborde des thèmes qui me touchent.
Comment te décrirais-tu?
Je suis quelqu’un d’assez sensible et la musique me permet de canaliser tout ça. Mon train de vie et mon organisation sont assez chaotiques, mais en musique j’aime les choses délicates et harmonieuses. J’imagine que c’est quelque chose qui peut se ressentir dans ma musique par le fait que j’apporte beaucoup d’importance à l’arrangement et aux polyphonies. Je suis assez perfectionniste. Ça semble un peu prétentieux mais je ne vois pas du tout ce trait comme une qualité. À vouloir sans cesse améliorer ses créations, on finit par trop en faire, perdre toute fraîcheur et gâcher beaucoup de choses. Je suis donc assez lente, mais j’aime passer des nuits entières à me plonger dans une activité artistique.
J’essaye de faire de la musique qui me ressemble, qui soit intimiste, authentique, peut-être fragile à quelque part.
Si tu devais choisir cinq adjectifs qui te correspondent, quels seraient-ils?
Je vais essayer de trouver un équilibre entre les positifs et négatifs! (rires). J’essaie d’être aussi authentique et vraie que possible; je suis sensible au point de pleurer devant des trucs complètement stupides; je suis aussi peureuse, le regard des autres et la scène m’angoissent un peu et, enfin, je suis passionnée! Ce qui me pousse à être travailleuse et à m’intéresser à beaucoup de choses.
Que représentent tes chansons pour toi?
Je pense que mes chansons parlent de mes angoisses, des questions que je me pose, des choses que j’observe. J’essaye souvent d’écrire des chansons qui comprennent des métaphores ou des images qui permettent ainsi beaucoup de degrés de lecture différents. Je pense que chacun doit pouvoir trouver sa propre interprétation d’une chanson et ne pas tout comprendre à la première écoute permet aussi de s’en lasser moins rapidement et de vouloir l’écouter encore.
Je pense que mes chansons parlent de mes angoisses, des questions que je me pose, des choses que j’observe.
Penses-tu que les musiciens ont un rôle social important?
Oui, pour moi c’est clair. D’ailleurs, on a bien vu pendant la période de semi-confinement que l’on a vécue à quel point on a besoin de l’art en général. Films, théâtres, séries, humour, musique. Tout cela a énormément manqué aux gens. Les événements culturels permettent aux gens de se rassembler, de se rencontrer, de vivre des moments riches, de se poser des questions. Est-ce qu’il y a vraiment quelque chose de plus beau que d’aller voir un concert et se retrouver avec des milliers de gens qui chantent et dansent tous ensemble, indépendamment de leur âge, couleur de peau, de leurs croyances religieuses ou politiques? La musique pousse à la rencontre, elle divertit, elle console, elle accompagne tous les moments marquants d’une vie!
Quelles sont les qualités qu’un musicien doit avoir?
Je pense que tout musicien doit être ouvert sur ce qu’il se passe autour de lui mais sans vouloir plaire à tout prix. Il est important à mes yeux de rester fidèle à soi-même lorsque l’on fait de la musique. À mon avis, c’est la qualité principale qu’un musicien doit avoir.
Vis-tu de ta musique?
Oui, mais pas depuis longtemps. J’étais aux études jusqu’au mois de juillet de l’année passée et j’ai décidé d’arrêter pour faire uniquement de la musique. Ça marchait vraiment bien, mais avec le coronavirus ça n’a pas été facile. On a vraiment été ralenti par la crise sanitaire. On devait faire deux tournées internationales et l’une d’entre elles a malheureusement été annulée. Pour être sincère, au début, j’étais un peu déprimée et dépassée par l’omniprésence des artistes sur les réseaux sociaux. Ensuite, j’ai compris que j’avais l’opportunité de me reposer, de prendre du recul et d’écrire plus. Au final, pour moi, ce temps de pause a quand même été bénéfique du point de vue musical. J’ai pu faire de la musique de manière plus libre, sans forcément vouloir enregistrer, sans attente. J’ai aussi beaucoup lu et écrit. J’avais un blocage d’écriture qui s’est résolu pendant cette période de semi-confinement et c’est vraiment positif. Au final, on recommence tout de même à avoir des dates de concerts, c’est réconfortant.
Est-ce qu’il y a vraiment quelque chose de plus beau que d’aller voir un concert et se retrouver avec des milliers de gens qui chantent et dansent tous ensemble, indépendamment de leur âge, couleur de peau, de leurs croyances religieuses ou politiques?
Lors de la Demotape Clinic 2017, le concours de la relève musicale suisse organisé par le festival pop du Pour-cent culture Migros «m4music», tu as gagné deux prix. Qu’as-tu ressenti alors?
C’était tellement gratifiant. Je ne m’y attendais pas du tout. Je venais de créer le projet Meimuna, je n’avais fait qu’un ou deux petits concerts. J’ai alors créé la chanson «Meimuna» que j’ai écrit, mis en musique, autoproduit et mixé dans ma chambre avec pas grand-chose. Je l’avais envoyée pour ce concours, sans grande conviction. Quand ils m’ont dit que j’avais été sélectionnée, j’ai même failli ne pas y aller parce que c’était à Zürich et j’étais toujours persuadée de rester complètement invisible. Finalement on a pris le train avec Erik, qui joue avec moi dans Meimuna, et puis la cérémonie a eu lieu. J’ai d’abord remporté le prix de la meilleure démo dans la catégorie Pop et, quelques instants plus tard, celui de la meilleure démo de l’année! Je n’y croyais pas (rires). Là, j’ai pu rencontrer le label Radicalis et les personnes avec lesquelles je travaille actuellement et m’ouvrir ainsi à la scène suisse-allemande. D’ailleurs, c’est étrange, mais on tourne plus en Suisse allemande qu’en Suisse romande, alors qu’on écrit en français. C’est sûrement dû au charme du français (rires).
D’où vient le nom/titre Meimuna et pourquoi l’as-tu choisi?
Meimuna c’est le nom d’une cigale qui passe 20 ans sous terre à l’état de larve et qui remonte ensuite à la surface pour être un jour au soleil avant de mourir à la fin de la journée. J’ai choisi ce nom car j’aime beaucoup la symbolique de la cigale: renaissance, recentrement sur soi, métamorphose, évolution, développement personnel et conception de projets futurs.
Quand as-tu pris ton envol et créé ce projet? Pourquoi?
Tout a commencé avec la Demotape Clinic. J’ai signé avec mon label et les choses ont commencé à bouger. J’ai aussi arrêté mon autre projet Macaô car il ne me correspondait plus trop. Il s’agissait d’un projet de groupe, tout le monde mettait la main à la pâte et c’était bien. Mais, j’ai voulu me concentrer sur un projet personnel, plus intimiste et qui me ressemblait plus. Avant, avec Macaô, on se situait dans la scène Pop et on voulait faire danser les gens. Je crois que j’avais besoin d’un projet qui me rapprochait plus de moi-même et de mon public aussi.
Tu es une artiste touche-à-tout, mais dans quel sens exactement?
J’ai fait des études en arts visuels et une école d’illustration à Bruxelles. Mon père est aussi un professeur d’art. J’ai donc toujours été plongée dans les deux domaines, la musique et l’art. Pour moi, c’est difficile de choisir l’un ou l’autre car j’adore m’occuper des deux et les harmoniser au mieux. J’aime réaliser les pochettes, les affiches ou les clips de mes chansons par exemple. Je pense que combiner les deux c’est aussi un moyen d’offrir un univers plus dense et cohérent aux auditeurs.
Si on n’a pas peur de détoner, l’harmonie entre musique et visuel se crée naturellement.
Comment créer une belle harmonie entre musique et visuel?
Encore une fois, je pense qu’il faut être authentique et rester soi-même. Bien sûr, il faut que le visuel soit cohérent et qu’il s’adapte bien à la musique, mais lorsque l’on se fait confiance, que l’on se fie à ses goûts et qu’on n’a pas peur de se détacher des choses qu’on voit et entend d’habitude, en fait si on n’a pas peur de détoner, l’harmonie entre musique et visuel se crée naturellement.
Donnes-tu à chaque chanson un message particulier ou as-tu plutôt un fil rouge constant?
Il y a forcément des thèmes qui reviennent, comme la liberté, le fait de réussir à se mettre à la place d’autrui et de changer de perspective, l’amour bien sûr, ou encore mes angoisses. J’essaye quand même de toujours traiter le thème de manière différente, ce serait ennuyant sinon (rires).
As-tu un rituel avant de monter sur scène?
Je ne sais pas si c’est une bonne idée de dévoiler ce secret, mais je bois toujours un petit verre de vin avant de monter sur scène (rires). Autrement, je fais des exercices de respiration et, étant donné que je suis stressée de nature (rires), j’essaye de me rassurer et de me dire que ma musique est un cadeau pour mon public, que tout va bien se passer et que les gens ne sont pas tous des monstres sanguinaires qui n’attendent que de me critiquer (rires). J’essaie de me faire du bien et de rendre heureux mes auditeurs et il n’y a rien de plus beau.
Présente-moi tes EP et tes chansons.
On a sorti deux EP. Le premier c’était «Meimuna», il contient trois chansons et est sorti en 2018. L’année suivante, j’ai sorti le cinq titres «Amour». Ces deux EP ont été autoproduits: j’ai enregistré et mixé seule, dans ma chambre pour le premier, et dans la mezzanine de mon appartement à Bruxelles pour le deuxième. Je peux déjà vous annoncer que le 6 juillet je sortirai un nouvel EP purement instrumental, de nouveau autoproduit durant la crise sanitaire, et qu’en août sortira le troisième EP, «Bestiaire II», celui-ci enregistré en studio avec trois autres musiciens. «Bestiaire II» est en fait la suite du premier EP. J’ai choisi des créatures que j’utilise comme métaphores pour parler de thèmes qui me touchent. Dans «Meimuna» c’était la cigale (Meimuna), le diable (La Tristesse du Diable) et le cormoran (Le Grand Cormoran).
Quelle est ta chanson préférée et pourquoi?
Je pense que j’aime beaucoup «Au Temps des Coquillages» parce que c’est une chanson que j’ai écrite assez rapidement, ce qui m’arrive rarement. Elle traite de mon enfance, mais aussi de mes faiblesses et ça m’a fait beaucoup de bien de l’écrire. En plus, le refrain reste facilement en tête (rires).
Que signifie la chanson «La tristesse du diable»?
C’est la deuxième chanson que j’ai sortie, c’était en 2018. Elle traite du changement de perspective et de comment on peut se mettre à la place d’autrui, des personnes que l’on pointe du doigt surtout. J’ai grandi dans un environnement très religieux et pratiquant dans lequel le regard de Dieu était important. En grandissant, je me suis posée beaucoup de questions, notamment concernant la figure du diable qui me faisait vraiment peur, petite. Quand on se plonge dans certains écrits on apprend que c’était un ange qui a été chassé pour plusieurs raisons, notamment parce qu’il aurait fait connaître à l’Homme l’Art, le beau et le savoir, corrompant ainsi son cœur. Toute la symbolique de Lucifer est passionnante et j’ai eu un plaisir fou à me plonger dans ces écrits. C’était comme une douce revanche sur les peurs de mon enfance. Je pense d’ailleurs que c’est le thème religieux qui fait que la chanson rencontre actuellement un certain succès dans les pays hispaniques.
Quels sont tes rêves et tes projets artistiques et musicaux?
Il y a donc ces deux nouveaux EP qui vont sortir bientôt. Je suis aussi contente parce que les choses commencent de nouveau à bouger en termes de concerts. Nous allons notamment jouer à Schaffhouse le 09 Juillet et à Martigny le 19 Juillet. Je suis aussi intervenante lors de deux stages, à Fribourg avec Helvetiarock (19 Août) et le 12 Septembre avec Into the yard, durant lesquels je vais proposer des workshops sur l’auto-production et l’arrangement.
Peux-tu terminer ces quelques phrases sans trop réfléchir?
- En ce moment, j’écoute…beaucoup Adrianne Lenker, une artiste que j’adore et qui chante dans un groupe qui s’appelle Big Thief.
- Je rêverais de faire un duo avec…Klô Pelgag, une chanteuse géniale de Montréal.
- Le plus beau chanteur suisse est…(rires) Je ne sais pas…je suis censée choisir entre Stephan Eicher, DJ Bobo et Bastian Baker?
- J’aimerais remercier…ma famille. C’est un peu banal comme réponse mais ma famille me soutient énormément dans mon projet musical et elle mérite bien d’être citée dans une interview (rires).
- Mon pêché mignon c’est…les biscuits Kambly (rires).
- Je rêve de…mourir d’une indigestion de biscuits Kambly (rires).
- Ce qui me fait rire c’est…Marina Rollman (rires). Je viens de l’écouter pendant une heure et je la trouve vraiment brillante!
- Je m’énerve quand…on me demande ce que c’est mon vrai métier.
- D’ici 5 ans, je vais…jouer au Canada (est-ce que c’est vrai?: ce n’est pas prévu (rires), mais j’aimerais bien!)
- Dans 10 ans, vous me verrez…ambassadrice pour une marque de sauce pimentée au fin-fond du Mexique (rires) (bien évidemment, ce n’est pas vrai non plus…même s’il ne faut jamais dire jamais (rires).
- Je vous souhaite…(rires) «tout le bonheur du monde et que quelqu’un vous tende la main…» (plus sérieusement…) de continuer à écouter de la musique, d’aller voir des concerts, de vous rendre compte à quel point la culture c’est beau et important!
Interview Andrea Tarantini
Laisser un commentaire