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Monnaie pleine: la Suisse, un cobaye monétaire?

12.04.2018
par SMA

La Suisse votera le 10 juin prochain sur l’initiative dite «monnaie pleine». Celle-ci vise à modifier fondamentalement la création de monnaie. Son objectif: protéger les avoirs bancaires en empêchant les banques commerciales de les engager dans des opérations de crédit. Fin 2017, le Parlement a opposé une fin de non-recevoir sèche à ce texte. Fait assez rare, tous les groupes politiques, de la gauche à la droite, l’ont rejeté. Le côté expérimental du système a été la raison principale du rejet.

Lors du vote sur cette initiative «monnaie pleine», les majorités rejetantes ont été impressionnantes. Le Conseil des Etats a refusé le texte par 42 voix contre zéro et une abstention; le Conseil national par 169 voix contre 9 et 12 abstentions. Il est rare d’assister à une telle unanimité contre une initiative populaire.

L’initiative veut empêcher les banques commerciales de créer de la monnaie scripturale. C’est ce qu’elles font aujourd’hui lorsqu’elles accordent des crédits, en utilisant aussi comme garantie les montants des dépôts à vue (comptes de virements). Les crédits accordés sont en général supérieurs aux montants déposés par la clientèle. Ce qui équivaut à une production de monnaie.

Pour les auteurs de l’initiative, cette possibilité est à la source de bulles spéculatives et de risques de faillites, qui menacent les dépôts bancaires. Ils veulent donc confier à la seule Banque nationale suisse la compétence de créer la monnaie scripturale. Les banques commerciales pourraient continuer à offrir des crédits. Mais au maximum à hauteur de ce dont elles disposent comme fonds thésaurisés. La BNS prendrait le relais, en fournissant la monnaie électronique aujourd’hui créée par les banques. Les comptes en «monnaie pleine» ne produiraient pas d’intérêts, mais seraient aussi sûr que l’argent liquide, selon les auteurs de l’initiative. La «monnaie pleine» serait aussi émise sans dette. A noter que, aujourd’hui, la BNS utilise les francs nouvellement créés pour acquérir des contre-valeurs, soit des devises, de l’or ou des titres).

Il est difficile de se faire une idée de ce que donnerait la mise en œuvre de l’initiative. Selon les initiants, tout serait parfait. On parle de «vrai» argent à l’abri des crises. On évoque la fin des ruées sur les banques en cas de problème. Enfin, on annonce une plus grande équité dans le marché du crédit, etc. Comment n’y avait-on pas pensé plus tôt? Les détracteurs de l’initiative lui reprochent toutefois d’être un projet purement conceptuel. En l’acceptant, la Suisse se livrerait à une expérimentation unique au monde.  En tant que place financière forte, stable et sûre, il ne serait pas dans son intérêt de faire ainsi cavalier seul.

Il est difficile de se faire une idée de ce que donnerait la mise en œuvre de l’initiative. – Vincent Simon

L’un des principaux arguments concrets opposés à l’initiative concerne l’impact sur les banques et leur clientèle. Les sommes des dépôts bancaires, aujourd’hui investies, ne le seraient plus, et donc ne rapporteraient plus rien. Comme les comptes courants seraient toujours nécessaires, les opérations (virements, paiements en ligne, retraits d’espèces aux bancomats…) devraient être dûment facturées à la clientèle. Cela provoquerait des hausses de coûts pour l’ensemble des clients.

Les banques commerciales verraient aussi se réduire les possibilités d’accorder des crédits. Ce qui se traduirait soit par une raréfaction du crédit et/ou une hausse des taux d’intérêt et du coût de l’argent. Dans ce cas, les prêts aux PME seraient plus chers et plus difficiles à obtenir. Il en irait de même pour le particulier qui voudrait investir dans l’achat d’un bien immobilier par exemple. A moins que la BNS ne se montre très généreuse dans la création de la monnaie scripturale. Mais à un moment donné, l’institution devrait bien décider si elle répond positivement à toutes les demandes de crédit ou se montrer plus circonspecte.

En parlant de «circonspection» d’ailleurs, il faut constater que la Banque nationale n’est pas le moins du monde séduite par «monnaie pleine». La BNS souhaite poursuivre sa politique monétaire actuelle. Elle craint en particulier une autre promesse démagogique des initiants, à savoir l’idée qu’elle devrait distribuer chaque année des milliards de francs de bénéfices issus du seigneuriage aux collectivités publiques et aux citoyens.

Ces sommes seraient distribuées sans dette et pourraient servir à réduire les impôts, financer les assurances sociales ou payer des infrastructures. En d’autres mots, la BNS risquerait de devenir le jouet de toutes sortes de pressions, tandis que la crédibilité de sa politique monétaire – qui en fait aujourd’hui sa force – pourrait bien s’effondrer. Faire fonctionner la planche à billet pour financer le ménage de l’Etat, voilà une option bien dangereuse. Au final, les Suisses ont tout intérêt à préserver le système actuel – qui protège tout de même les dépôts bancaires jusqu’à 100’000 francs par client et par banque – et rejeter une expérimentation hasardeuse et inutile.

Texte Vincent Simon, Suppléant romand responsable de projets, economiesuisse

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