Interview par SMA

Daniel Rossellat : « Le succès n’est pas un animal fidèle, il faut en prendre soin »

Une interview autour du festival, de son histoire et de l’«Esprit Paléo»

À la tête du Paléo Festival depuis sa création en 1976, Daniel Rossellat incarne l’âme de cet événement devenu incontournable en Europe. À l’aube d’une nouvelle édition complète depuis longtemps, l’infatigable artisan de ce succès partage ici sa vision d’un événement devenu culte, entre fidélité au public, audace artistique et engagement écologique.

Daniel Rossellat

Daniel Rossellat, après toutes ces années à la tête du Paléo Festival, qu’est-ce qui continue de vous enthousiasmer dans cette aventure ?

C’est toujours le même festival, mais ce n’est jamais la même chose. C’est un peu comme un vigneron avec sa vigne : chaque vendange, chaque millésime est unique. Chaque année, nous cherchons à améliorer certains aspects et à nous remettre en question. La programmation change bien sûr, mais aussi les installations artistiques, les scénographies… Nous avons également un nouvel écrin dédié aux artistes de rue et de cirque. Pour moi, c’est un plaisir renouvelé à chaque édition.

On parle souvent d’un « esprit Paléo ». Comment le définiriez-vous ?

Je dirais que c’est un savant mélange de convivialité, de respect et de curiosité. C’est comme une grande fête de famille : certaines personnes ne se retrouvent qu’une fois par an, c’est au festival. C’est pourquoi nous accordons une attention particulière à l’accueil, avec des espaces agréables pour manger ou boire un verre. Cette qualité d’accueil est une priorité pour nous, et cela pour toutes les générations.

Comment parvenez-vous à vous renouveler, édition après édition, sans céder à la facilité ni à la routine ?

Il ne faut surtout pas céder à la paresse, ni à l’arrogance. Le succès n’est pas un animal fidèle : il faut en prendre soin. Chaque année, nous remettons tout en question, même ce qui fonctionne bien. Nous cherchons toujours à apporter deux ou trois nouveautés. Notre devise : innover, surprendre, séduire est très importante pour nous. C’est un équilibre : comme quand on retourne dans une ville qu’on aime, on veut y retrouver des repères, mais aussi y découvrir de nouvelles choses. Paléo, c’est un peu comme un musée avec des expositions permanentes et temporaires. L’idée, c’est de conserver une base solide, tout en renouvelant l’expérience.

Le Village du Monde s’est imposé comme l’un des temps forts du festival. Quelle culture allez-vous mettre à l’honneur cette année ?

En 2025, nous mettons le cap sur le Maghreb ! Nous allons explorer les musiques du Maroc, d’Algérie, de Tunisie et de Mauritanie notamment. Plusieurs artistes aux styles variés sont attendus. Le Village du Monde, ce ne sont pas seulement des concerts : il s’agit aussi de gastronomie, de boissons ou encore de scénographie. L’idée, sans jamais tomber dans les clichés, est de faire voyager le public et de le plonger dans une culture tout en mettant cette dernière en valeur.

Y a-t-il un artiste que vous attendez avec une émotion particulière cette année ?

Il y a une vague très intéressante cette année. Je pense notamment à Zaho de Sagazan, que nous avions déjà invitée il y a trois ans, à une époque où elle était peu connue. Elle sera cette fois sur la grande scène. J’attends aussi avec impatience Santa ou encore Styleto… Je me réjouis beaucoup de les voir car ce sont des artistes que j’ai beaucoup écoutés mais encore jamais vus sur scène. Philippe Katerine, aussi, promet un beau moment. Et puis Queens of the Stone Age : ils sont plutôt rares, ça va être spécial. Chez les artistes masculins francophones, Pierre Garnier ou encore Ben Mazué… Ce sont de très beaux rendez-vous. Je suis très sensible aux artistes qui s’expriment en Français, mais bien sûr, Simple Minds ou encore les Sex Pistols notamment seront aussi très attendus !

Avez-vous une découverte, une « pépite » à recommander aux festivaliers les plus curieux ?

Ce n’est pas une question facile car au moment de la programmation, certains artistes sont encore peu connus. Et quelques mois plus tard, ils explosent. Mais parmi les pépites cette année, je pense par exemple à Rau_Ze, un groupe québécois encore confidentiel mais très prometteur. Je pense que ça peut être une jolie découverte. Et puis, tous les artistes du Village du Monde méritent d’être découverts. Il y a là de très belles surprises en vue.

Paléo, c’est un peu comme un musée avec des expositions permanentes et temporaires. L’idée, c’est de conserver une base solide, tout en renouvelant l’expérience. – Daniel Rossellat, Directeur du Paléo Festival

En 2025 encore, les billets se sont arrachés en quelques minutes. Cela fait plus de 20 ans que le Paléo Festival affiche complet avant même d’ouvrir ses portes. Comment expliquez-vous cet engouement hors norme ?

C’est vrai, nous avons tout vendu en treize minutes. La fidélité de notre public est incroyable. Dès l’ouverture de la billetterie, la demande dépassait largement l’offre des 250 000 spectateurs. La recette ? Ce n’est pas une simple addition de concerts bien qu’il y en ait plus de 250 : nous proposons une expérience globale. À Noël, nous avions déjà mis en vente et vendu 10 000 abonnements de six jours… sans avoir annoncé la programmation ! Cela montre bien que le public adhère à un concept, à une qualité d’accueil, à une ambiance. Paléo, c’est à la fois une grande fête conviviale et un rendez-vous pour les mélomanes curieux. Il y a les têtes d’affiche, mais aussi la possibilité de faire de vraies découvertes. La programmation inclut des artistes et groupes du monde entier et de tous styles : pop, rock, électro, rap ou indie. Elle attache également une grande importance à la chanson francophone. C’est un immense buffet musical où chacun trouve son compte. Et puis, pour les jeunes de la région, venir à Paléo entre 14 et 24 ans, c’est presque un rite de passage. Un rituel.

Depuis plus de 30 ans, l’écologie est au cœur de vos préoccupations. Quelles sont les nouvelles initiatives mises en place cette année ?

Nous avons mis en place notre premier tableau de bord environnemental dès 1990. Ce dispositif permettait déjà de mesurer précisément la quantité et la typologie des déchets produits, ainsi que la consommation d’eau et d’électricité. Nous avons toujours cherché à réduire l’impact environnemental du festival. Dans un premier temps, nous avons mené ces actions sans les médiatiser. Puis il a fallu les partager, pour embarquer le public dans cette démarche. Les résultats sont tangibles : la quantité de déchets a considérablement diminué, tandis que les filières de tri se sont multipliées. 64 % des déchets du Festival sont désormais recyclés grâce à 341 bénévoles. Mais deux grands axes demeurent prioritaires : la mobilité, d’une part – celle des spectateurs, des artistes, des marchandises et des infrastructures – et l’alimentation, d’autre part. Nous favorisons donc au maximum les transports en commun, et avons renforcé notre budget en ce sens pour augmenter l’offre disponible. Un·e festivalier·ère sur deux utilise les transports publics ou la mobilité douce pour venir au Festival grâce à un réseau de plus de 20 lignes gratuites ou à prix réduits. Autre volet d’action : la vaisselle. Le festival a généralisé le système de vaisselle consignée, adossé à une centrale de lavage mutualisée, également utilisée par d’autres événements organisés à Nyon. Cela nous permet d’optimiser les infrastructures tout en réduisant l’impact écologique. Côté restauration, le choix s’oriente vers des produits de saison et issus de circuits courts. Le but n’est pas de faire la morale : une fête reste une fête, avec ce qu’elle peut avoir de joyeusement transgressif. Mais il est possible de se faire plaisir en étant attentif à ce qu’on consomme. Nous ne prônons aucune forme d’exclusion, mais nous tenons à proposer des alternatives aux produits les plus impactants pour l’environnement.

Est-il plus difficile ou, au contraire, plus facile de conjuguer développement durable et grand événement ?

Plus facile, au contraire ! Le fait d’être grand nous donne plus de marge de manœuvre. Par exemple, le restaurant qui sert 50 000 repas à nos 5400 bénévoles, nous permet d’agir concrètement. Plus on a d’impact, plus on peut structurer les choses en faveur de l’environnement.

Vous avez accumulé d’innombrables souvenirs en près de cinq décennies. L’un d’entre eux vous revient-il particulièrement en mémoire ?

C’est toujours cruel de devoir n’en citer qu’un… Mais je pense immédiatement au concert de Neil Young en 2013. Un orage s’est abattu sur le site au moment où il a entamé Like a Hurricane. Il a joué le morceau pendant 25 minutes, sous des trombes d’eau. C’était un moment suspendu, hors du temps. Complètement fou. On était loin du format classique d’un concert. C’est le souvenir qui me vient immédiatement à l’esprit.

Les coulisses du Paléo ont sans doute leur lot d’imprévus… Avez-vous une anecdote marquante à partager ?

En 2019, Shaka Ponk a annulé le jour même à cause d’un souci de voix de la chanteuse. Les médecins ont tout tenté, en vain. Alors, avec Stephan Eicher et d’autres artistes présents sur le site ou dans les environs, on a monté un concert improvisé en quelques heures. Toute l’après-midi, dans les loges, les artistes se sont rencontrés, ont chanté ensemble… Et le soir, on a vécu un moment totalement inattendu, spontané, collectif. C’était magique.

Comment voyez-vous le festival dans dix ans ?

Nous ne cherchons pas à devenir plus grands, mais meilleurs. L’extension du festival semble peu probable de toute façon car nous bénéficions d’un emplacement idéal certes, mais au cœur d’une région fortement urbanisée. Mais surtout, nous ne souhaitons pas nous agrandir. Notre ambition est d’être parmi les meilleurs festivals, non parmi les plus grands. Cette volonté de qualité plutôt que de quantité se reflète dans une philosophie résolument tournée vers l’expérience humaine. Je suis relativement confiant, car notre objectif est d’offrir une expérience fondée sur la convivialité et la rencontre. C’est une expérience que l’on ne peut pas télécharger. Certes, nous avons une application pour informer sur les horaires et les artistes, mais l’essence du festival, elle, ne peut être numérisée. Les échanges et les rencontres que l’on vit ici sont bien plus riches que ceux permis par les réseaux sociaux. Cet ancrage dans le réel constitue un atout. La technologie peut certes améliorer certains aspects, mais elle ne remplacera jamais l’expérience que nous proposons. C’est peut-être cela aussi qui explique la fidélité du public : ce besoin de s’éloigner des écrans pour vivre des moments authentiques. L’équipe du festival cultive une démarche exigeante, nourrie par une volonté constante de se réinventer. La capacité d’innover et de se remettre en question reste essentielle. Chaque année, nous cherchons à améliorer notre organisation, au risque parfois d’une dérive perfectionniste. Nous disposons de nombreux outils pour analyser ce que nous faisons, y compris un groupe de personnes dédié uniquement à l’observation du festival du point de vue des spectateurs, afin de vérifier que nos objectifs de qualité sont respectés et que nos innovations portent leurs fruits. Si nous maintenons cet état d’esprit, je suis très confiant quant à l’avenir du festival.

Informations supplémentaires :

  • Festival du 22 au 27 juillet 2025
  • paleo.ch

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08.06.2025
par SMA
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