kt kt gorique: «c’est ce qu’on fait qui nous définit et pas l’inverse»
Culture Interview

KT Gorique: «C’est ce qu’on fait qui nous définit et pas l’inverse»

29.09.2021
par Andrea Tarantini

Passionnée, exigeante et déterminée. C’est ainsi que se décrit la rappeuse KT Gorique, qui séduit son public par la spontanéité de ses rimes, son style hybride ainsi que son talent «d’entertaineuse». Dans cette interview, elle nous donne les clés pour comprendre son univers et nous propose sa définition de la femme moderne.

KT Gorique, quand et comment as-tu commencé à faire de la musique?

Dès mes cinq ans, j’ai pratiqué la danse, ce qui m’a rapproché ensuite du Hip-hop. À l’époque, j’écrivais déjà des textes en rimes, mais je ne réalisais pas encore qu’il s’agissait de chansons. C’est à douze ans que j’ai commencé à danser tout en essayant de lire mes rimes sur du rap américain.

Pourquoi as-tu choisi le nom KT Gorique?

Quand je me montais sur scène, j’aimais faire des jeux de mots avec le préfixe KT et former des mots comme «KT Gorique» que j’utilisais pour souligner le caractère direct et catégorique d’une rime. Les gens ont ensuite commencé à m’interpeller ainsi et j’ai décidé de garder ce mot comme nom d’artiste. D’ailleurs, il correspond bien à ma manière d’écrire très incisive et à mon fort caractère. De manière générale, j’ai toujours une vision claire et précise de ce que je dois faire pour atteindre un objectif.

On dit souvent que ta musique est hybride et multiculturelle. Mais comment la définirais-tu?

J’ai donné un nom oxymorique à mon style: Future Roots. J’aime en effet aller puiser des idées dans les racines des styles que j’aime pour créer un univers moderne et alternatif qui me ressemble. C’est ce qui rend ma musique hybride: il s’agit d’un Rap moderne qui, dans le choix des instruments utilisés, reflète des influences venant de mes «roots», à savoir le Reggae et la musique africaine.

Aujourd’hui, comment la danse s’intègre-t-elle dans ton projet musical?

La danse ne m’a jamais lâchée. Pendant mon adolescence, je prenais et donnais des cours de danse. Depuis plus d’une dizaine d’années, je me consacre à mon projet musical dans lequel la danse a sa place, surtout dans le cadre des lives. En effet, mon backer vient de l’univers de la danse. Ensemble, on essaie de créer une mise en scène originale. L’idée n’est pas de chorégraphier, mais d’apporter simplement une dimension supplémentaire à la musique avec le corps.

Quelles sont les problématiques qui te tiennent à coeur?

Dans mes chansons, je raconte ma vie. Le sujet que je traite et l’angle que je choisis dépendent des choses qui me touchent – autant positivement que négativement – et de mes questionnements. J’ai toujours voulu comprendre le monde et je veux parler de cela. Souvent, il y a des problèmes récurrents dont je traite plus souvent dans mes textes, mais le tout vient de ma vie. C’est pour cette raison que je ressemble autant à ma musique et inversement: on vient de partout et de nulle part en même temps, on est hybrides et multiculturelles, on parle plusieurs langues et on discute des différentes facettes du monde.

En 2020, tu as sorti l’album Akwaba. Est-ce que la pandémie a aussi été une source d’inspiration pour toi?

Certainement. Dans Akwaba, je souligne l’importance de la résilience et de la capacité de tirer de la force des épreuves difficiles de la vie. J’y traite aussi de l’idée de vivre en accord avec soi-même et du problème du racisme. Dans cet album, j’aborde également des sujets qui sont relativement nouveaux pour moi. C’est notamment le cas du thème du rapport des gens à l’argent. Autrement, j’ai senti le besoin de parler des rêves et, plus particulièrement, du fait de vouloir rêver grand, tout en gardant une éthique. J’ai aussi mis en avant l’idée que toute fin n’est en pas vraiment une, ce qui peut être vu positivement ou non. Avoir une passion qui est aussi mon métier est une chance énorme pour moi. La musique me donne de l’espoir. C’est pourquoi, en général, je tente aussi, à mon tour, d’inspirer les gens et de leur donner de l’espoir.

Dans cet album, tu crées aussi une harmonie entre humour et rap. Selon toi, quel est le pouvoir de l’humour en musique?

J’aime aborder des sujets forts qui peuvent déclencher des questionnements difficiles. Je pense néanmoins que la musique doit faire du bien. D’un côté, il est donc important de parler de thèmes profonds. De l’autre, il faut le faire avec légèreté. L’humour est un moyen idéal. Je fais parfois des punchlines qui me permettent de dire des choses, mais non de manière crue. Mon amie Shirley Souagnon, avec qui j’ai collaboré dans le cadre d’Akwaba, est la reine de l’humour. Elle parle toujours de choses difficiles à saisir, qui ont plusieurs facettes ou qui sont parfois particulièrement tristes. Pourtant, elle le fait avec le bon ton et d’une manière qui fait rire et réfléchir en même temps.

Pendant la crise sanitaire, tu as aussi dû t’éloigner de la scène. Était-ce difficile de ne pas être en contact direct avec tes fans?

C’était relou (rires) et très dur. Avant l’annonce du (semi-)confinement, on avait fait seulement trois concerts et on a dû annuler les suivants. On avait aussi commencé la promotion pour Akwaba et tout était prêt (le show, la sortie de mes premiers singles etc.). Même à ce niveau, ce n’était donc pas une période facile. En plus, moi j’ai horreur de m’ennuyer et de ne rien faire. J’ai tout de suite pensé «il faut absolument que j’occupe mes journées.» Ça a été ma stratégie d’auto-défense. J’ai fait une série de freestyles que j’ai appelée «le Remède» et j’ai invité des gens à jouer un rôle dans leur direction artistique sur Instagram. J’ai également collaboré avec des artistes suisses et internationaux, dans le cadre de cyphers par exemple. J’ai écrit beaucoup de morceaux et sorti un EP en début d’année. Je dirais que j’ai donc abusé de mon inspiration et que j’ai survécu, mais cela n’a rien enlevé aux problèmes engendrés par la pandémie.

Ta tournée actuelle t’emmène dans différents pays. Comment définirais-tu les publics et les ambiances que t’y rencontres?

Je constate que mon public est très varié. Il regroupe des gens de toutes les générations et les origines. Par exemple, il est autant composé de grands fans de rap que de personnes qui viennent de l’univers reggae-dance hall, de punks et même de familles avec enfants. Certains m’ont dit «cela faisait longtemps que je n’écoutais plus de rap. Puis, je t’ai découverte et j’ai recommencé à l’apprécier.» Ces commentaires me font énormément plaisir. Je remarque que les gens avaient vraiment besoin de concerts, autant que les artistes.

Que penses-tu de la scène urbaine et rap suisse?

Je suis trop fière des artistes suisses. J’ai la chance de pouvoir être une jeune adulte – j’ai quand même la trentaine maintenant – qui a commencé à rapper il y a plus de quinze ans. À cette époque, il n’y avait qu’une petite niche de passionnés de rap, les autres ne comprenaient pas notre délire (rires). Il fallait même justifier pourquoi il était important d’écouter des rappeurs suisses. Aujourd’hui, le marché suisse allemand est très développé et celui romand évolue constamment. On organise même des festivals aux line-ups de rap romand qui sont sold-out. Et, pour moi, ce n’est que le début. En Romandie comme à l’étranger, il y a un véritable engouement pour les artistes romands. Les mentalités ont donc évolué!

Le monde aime les étiquettes, et même en matière de musique. Pourquoi selon toi?

Je pense que l’être humain a besoin de cette «KT Gorisation» pour comprendre les choses (rires). Le problème c’est que tout n’est pas étiquetable, ce qui signifie qu’il faut simplement lâcher prise. Les gens ont aussi énormément d’idées reçues. Par exemple, nombreuses sont les personnes qui pensent à tort qu’être musicien n’est pas un métier. Il faut comprendre qu’il s’agit d’un énorme travail: faire de la musique signifie se questionner, trouver la bonne forme et formule, écrire, toucher les émotions des gens, enregistrer, mixer, masteriser, établir des collaborations, mettre en scène, etc. Il faut beaucoup de passion et de courage pour faire tout cela. C’est donc bien plus qu’un métier!

Selon toi, qu’est-ce qu’une femme moderne en 2021?

Je me demande déjà ce qu’est une femme non moderne (rires). Pour moi, une femme moderne, en 2021, c’est une femme qui est en accord avec elle-même et qui ne doit plus expliquer ce que signifie qu’être une femme. Je pense que c’est ce qu’on fait qui nous définit et pas l’inverse. Je ne suis pas une femme qui fait du rap, je suis une artiste et je ne fais pas du rap parce que je suis une femme, c’est le rap qui me définit.

Quels sont tes projets futurs et tes rêves?

J’enregistre un bon nombre de sons et j’aimerais sortir un projet l’année prochaine. Je rêve de continuer ma tournée comme prévu et peut-être mettre en place des collaborations internationales en 2022… mais je n’en dirai pas plus, je laisse place au suspense.

Smart
fact

KT Gorique en quelques mots…

Avant de monter sur scène, je… fais mon maquillage et je m’échauffe.

Les artistes qui m’inspirent le plus sont… Lauryn Hill, DJ Arafat et Damian Marley.

La chose que je changerais dans le monde de la musique c’est… les revenus des artistes sur les plateformes de streaming – ils sont un peu bas.

Le compliment qui m’a le plus touchée c’est… celui d’une personne qui m’a dit que ma musique l’avait accompagnée et aidée pendant sa dépression.

Ce que je voudrais inspirer aux gens c’est… le fait qu’il faut être fort et ne jamais baisser les bras.

J’aimerais remercier… toute ma famille.

Dans dix ans, vous me verrez peut-être… remplir des stades (rires).

Je vous souhaite… l’essentiel: la paix, l’amour et la santé.

Interview Andrea Tarantini

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