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Éditoriaux Suisse

Quel avenir pour le terroir suisse et romand ?

30.03.2025
par SMA
Portrait Lapaire Olivier

Lapaire Olivier
Responsable Terroir Juraregion, Fondation Rurale Interjurassienne (FRI)

Poser cette question, c’est s’intéresser à ce que nous mettons dans nos assiettes, à notre alimentation, à ce qui nous nourrit. Le terroir a ses enjeux, rencontre des défis et connaît ses limites. Si les discours commencent à évoquer des « systèmes alimentaires » plutôt que de simples « politiques agricoles », il reste difficile d’adopter cette vision et de faire évoluer la situation. Pourtant, comme le dit l’adage : « Acheter, c’est voter ». En tant que consommateurs, nous avons une véritable voix. Acheter, c’est aussi « faire société ». Réfléchir à son alimentation, par sa répétitivité quotidienne, mérite qu’on s’y arrête un instant, tant elle offre de leviers d’action. Plusieurs facettes peuvent être développées, tant nos circuits d’approvisionnement sont mondialisés et interdépendants. Mais dans l’esprit de ce supplément, je vous propose un survol d’une des meilleures choses que la Suisse peut offrir : son terroir.

Dans le cadre de ma mission au sein de la Fondation Rurale Interjurassienne, j’ai le privilège d’observer cette évolution, visible à l’échelle régionale, romande, nationale et même internationale. Mes propos n’ont pas la prétention d’être exhaustifs, mais visent à inciter à la réflexion sur ce que nous mettons dans nos assiettes – peut-être au moment même où vous lisez ces lignes.

Dans le langage courant, les « produits du terroir » ont peu à peu laissé place aux « produits régionaux ». Derrière ces termes se cache un véritable changement de paradigme. Il y a une vingtaine d’années, les démarches de promotion du terroir visaient avant tout à valoriser l’agriculture locale, la culture régionale, son folklore et la préservation des savoir-faire. C’est dans cet esprit qu’est né l’inventaire du Patrimoine culinaire suisse (2004), publié seulement récemment (2022), et devenu depuis une véritable bible du terroir helvétique.

Aujourd’hui, plusieurs initiatives visent à développer une « alimentation durable » en mettant en avant les produits régionaux. L’une d’elles souhaite amener la restauration collective à s’approvisionner localement. Dans ce but, en ce début d’année, nos cantons romands et latins ont ratifié une charte intitulée « Cuisinons notre région ! ». Dans ce contexte, il ne s’agit pas seulement de mettre en valeur quelques produits phares comme le Totché, le Gâteau du Vully, la fondue ou la Damassine AOP, mais bien de favoriser un approvisionnement régional en produits de consommation courante : viande fraîche, pain, fruits, légumes, etc. Cet exemple montre deux évolutions majeures : les produits du terroir, autrefois réservés à une niche, se sont démocratisés et font désormais partie de la consommation courante, notamment dans la restauration. Par ailleurs, ils regroupent désormais un large éventail de produits, allant des spécialités régionales à l’ensemble de la production régionale.

Cette évolution est bienvenue, car notre alimentation a un impact considérable sur le climat (entre 15 et 20 % de nos émissions de CO2), sur notre société et sur notre santé. Intégrer des produits régionaux dans la restauration collective crée des débouchés économiques et permet d’élaborer des menus équilibrés, offrant à un nombre croissant d’élèves au moins un repas chaud et sain. Ces bonnes intentions semblent aller de soi, mais elles s’inscrivent dans un contexte où offrir une alimentation saine dans ce type d’établissement n’était plus la norme, en raison de l’évolution des habitudes alimentaires et des politiques d’économie publique. Si le contexte évolue, les budgets, eux, restent inchangés pour le moment, ce qui impose des discussions et des ajustements à tous les niveaux.

Le terroir romand évolue et s’adapte à son époque, démontrant ainsi une réactivité remarquable. Il est façonné par notre société, ses tendances, par vous et moi, et surtout par nos producteurs.

L’exemple de la restauration illustre bien comment les produits du terroir – et les structures qui les promeuvent – se sont ouverts à d’autres secteurs et travaillent désormais en réseau. À l’échelle romande, nous avons vu émerger ces dernières années plusieurs marques territoriales, comme Vaud Promotion ou Grand Chasseral, qui rassemblent différents acteurs pour promouvoir leur région et unir les forces de tout un territoire.

Autre emblème de notre savoir-faire helvétique : les AOP et IGP, dont la Romandie est un vivier particulièrement fertile. Nos appellations fédérales raflent souvent les médailles d’or dans divers concours de dégustation. Ces labels de qualité portent bien leur nom et assurent un niveau d’excellence constant au fil des ans. La production régionale évolue aussi avec l’apparition de nouveaux produits à base de laits végétaux, d’alternatives à la viande à base de légumes, ainsi que de nouvelles cultures comme les agrumes, le gingembre ou les baies d’aronia. La liste est longue, même en restant concentré sur les produits artisanaux.

Le terroir romand évolue et s’adapte à son époque, faisant preuve d’une remarquable réactivité. Il est façonné par notre société, ses tendances, par vous et moi, et surtout par nos producteurs. Agriculteurs et artisans sont au cœur du terroir et s’investissent chaque jour pour nous offrir leurs meilleurs produits, contribuant ainsi au rayonnement du terroir romand.

En ce dimanche matin, alors que la géopolitique présente de nouveaux défis, que le contexte économique incite peu à l’optimisme et que les changements climatiques nous poussent à revoir nos priorités, il ne s’agit pas de faire preuve d’un optimisme aveugle. Le terroir doit lui aussi faire face à ces défis et continuer à progresser. Son adaptabilité, sa qualité, son ouverture et sa capacité à traverser les époques témoignent de la richesse et de la diversité culinaire de la Suisse.

À ce titre, la Suisse peut s’enorgueillir d’un formidable observatoire de cette excellence : le Festival Terroir Suisse. Cet événement réunit conférences, concours, grand marché et animations culinaires pour célébrer et partager la richesse de nos terroirs. Trois semaines de dégustation sont nécessaires pour identifier et récompenser les meilleurs produits issus de nos 26 cantons dans cinq catégories : produits laitiers, boulangers, carnés, dérivés des fruits et légumes et boissons alcooliques. Plus de 1 200 produits sont dégustés par 200 jurés, un défi d’organisation millimétrée, de la logistique à la cuisine. Tous les deux ans, à la fin du mois de septembre, c’est à Courtemelon (JU), à deux pas de Delémont, qu’une véritable fourmilière s’installe pour mettre à l’honneur le meilleur du terroir suisse.

Texte Lapaire Olivier, Responsable Terroir Juraregion, Fondation Rurale Interjurassienne (FRI)

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