La transformation numérique touche toutes les activités, des produits de grande consommation aux applications de services numériques. L’arrivée de l’intelligence artificielle n’a pas seulement nourri une course à la technologie, en dopant les solutions existantes avec de nouvelles fonctionnalités et en automatisant le travail ; elle a créé une véritable ruée vers l’or, le contrôle et l’influence à tous les échelons de la société.

Nicolas Torrent
Co-President Swiss LegalTech Association (SLTA) et auteur de « IA pour avocats »
La digitalisation de l’économie progresse rapidement
L’arrivée de l’IA accélère la numérisation des processus, de l’usine au service public. La recherche et la réglementation engendrent des produits plus accessibles, tandis que des interfaces simplifiées et standardisées réduisent les obstacles à l’adoption. Les objets connectés font désormais plus que de la simple collecte et du traitement de données : ils peuvent prendre des décisions, anticiper des besoins et solliciter l’utilisateur si nécessaire, en quasi-autonomie.
L’administration suit le mouvement : procédures en ligne, signatures électroniques, workflows automatisés, avec une aide contextuelle et des chatbots en soutien. Les effets sont notables : la barrière de la complexité recule, même dans les domaines techniques tels que la médecine, le droit ou la physique. Si les professionnels se désolent de devoir réparer les erreurs commises à l’aide de l’IA, l’humain a désormais accès à une aide permanente à la compréhension. Cette dynamique appelle naturellement un besoin de gouvernance complète des données, ainsi qu’une réflexion poussée sur l’éthique et un examen en profondeur de la sécurité ; ces besoins cèdent toutefois souvent la priorité au développement dans la course actuelle à l’IA.
En effet, les investissements privés colossaux alloués à la construction de data centers, de puces et à l’entraînement des grands modèles de langage (LLM) ne laissent aucun doute quant à ces priorités : la domination de l’IA et la recherche de profits. Cette course permet toutefois au marché de bénéficier de technologies de pointe à des prix très abordables, du moins pour l’instant.
Où s’intègre l’IA ?
Gouvernements et entreprises considèrent désormais l’IA comme un enjeu stratégique majeur pour la compétitivité, les intérêts nationaux et leur souveraineté numérique. La majorité des nouveaux produits mis sur le marché intègrent de l’IA ou en ont bénéficié indirectement au cours de leur développement : moteurs de recommandation dans les applications de services, vision par ordinateur dans les objets connectés, suites bureautiques, détection d’anomalies en cybersécurité. Cette intégration forcée surprend d’autant plus que l’IA n’est souvent pas rentable pour ses créateurs.
Toujours est-il que l’intégration de l’IA dans l’économie devrait continuer à croître très rapidement. Des études récentes mettent régulièrement en évidence de nouvelles utilisations, même dans des industries initialement présumées imperméables, comme l’agriculture de précision, les cosmétiques recommandés sur la base d’une analyse en direct de la peau, ou même l’apiculture. De nombreuses usines fonctionnent désormais avec des robots guidés par l’IA, et chaque entreprise, technologique ou non, semble avoir déterminé qu’intégrer l’IA à ses produits et services est un choix stratégique nécessaire.
Quels défis actuels ?
Certains redoutent une bulle de l’IA. L’afflux d’investissements privés a battu des records, alors même que les dépenses dépassent largement les revenus. À cela s’ajoutent les liens financiers entre les géants de la technologie et la création d’une forme de cartel de l’IA. Un éclatement de la bulle frapperait durement l’économie et les marchés, d’autant que de nombreux investisseurs aux États-Unis ont placé leurs avoirs dans ces technologies. On observe d’ailleurs que la bourse américaine est désormais fortement influencée par les résultats de cette poignée d’entreprises.
Par ailleurs, l’IA reste faillible. Les hallucinations persistent et nuisent à la confiance lorsqu’elles sont intégrées sans filtrage dans des produits de grande consommation ou des services critiques : un taux de précision de 90 % peut équivaloir à 0 % dans certaines professions comme la médecine. De même, le contenu généré par l’IA se diffuse massivement en ligne, remplaçant ou éclipsant le contenu humain ; cela est d’autant plus préjudiciable que ce contenu introduit des erreurs et fait la promotion de valeurs, de visions du monde, de cultures et d’habitudes linguistiques qui diffèrent parfois sensiblement de celles des utilisateurs. Ce contenu réalimente ensuite l’entraînement des nouveaux modèles et contribue à une forme de « pollution du savoir humain », en renforçant les biais et en crédibilisant des contre-vérités. Le retour en arrière, la restauration de l’information fiable, s’annoncerait difficile.
Il faut enfin souligner que la course à l’IA de niveau humain ne cesse d’accélérer ; or, ce type de technologie se prête mal à une logique de compétition, en raison de sa complexité inhérente et de la difficulté à la comprendre. Il serait préférable de voir les gouvernements créer des projets communs comme le CERN ou le projet de réacteur à fusion nucléaire ITER, ainsi que des agences telles que l’Agence internationale de l’énergie atomique pour en superviser et en réguler le développement.
Texte Nicolas Torrent, Co-President Swiss LegalTech Association (SLTA) et auteur de « IA pour avocats »
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