La place financière suisse reste une excellente référence
Au sein de l’Etude d’avocats Schellenberg Wittmer, Caroline Clemetson, spécialisée dans le droit bancaire et financier, détaille les nouveaux défis juridiques liés aux activités des fintechs. La Suisse diversifie et développe son activité dans les nouvelles technologies bancaires et financières. Mais, les forces et acquis traditionnels restent de mise.
La place bancaire helvétique est actuellement en pleine effervescence. Les acteurs des fintechs se multiplient et leurs activités reflètent une intense diversification de la branche. Cryptomonnaies, plateformes de financement participatif et multiplication des services digitaux. Autant d’exemples s’inscrivant dans le fort dynamisme qui caractérise la Suisse et son activité bancaire et financière d’aujourd’hui.
Le domaine des fintechs représente pour certains un nouvel eldorado. Néanmoins, il ne faut pas non plus y voir un domaine qui remplacerait l’activité bancaire traditionnelle et institutionnelle du pays. Les atouts helvétiques en matière de private banking ou d’asset management constituent encore des points forts indéniables à mettre en avant. Dans ce sens, l’intense activité liée aux fintechs constitue plus un domaine de spécialisation supplémentaire qu’un nouveau paradigme résumant à lui seul l’expertise bancaire et financière suisse. Pour en savoir plus sur ces aspects, Caroline Clemetson analyse et détaille ces questions dans notre interview.
On peut constater que la place bancaire helvétique connaît actuellement d’importantes évolutions, notamment en ce qui concerne les cryptomonnaies. Quels sont les défis juridiques qui accompagnent ces nouvelles pratiques?
La Suisse connaît depuis quelques années un intense développement lié aux activités dans le domaine des fintechs. Et il faut s’en réjouir bien entendu. Par rapport aux défis juridiques, il s’agit de voir comment encadrer ces nouvelles pratiques avec les réglementations dont nous disposons déjà. En Suisse, nous n’avons pas encore de législations spécifiques. La réglementation étant «neutre» d’un point de vue des technologies et englobe ces nouveaux aspects pour autant que la réglementation en matière financière leur soit applicable.
Et quel regard portez-vous sur la manière dont les autorités bancaires et financières helvétiques encadrent et soutiennent ces nouvelles pratiques?
Nous avons en Suisse une autorité de surveillance dans le domaine des marchés financiers, la FINMA. Elle est active pour encadrer ces nouvelles activités et apporter de la clarté au niveau de l’applicabilité ou non des réglementations financières à ces activités. Et cet engagement reflète clairement une volonté de soutenir ces nouveaux acteurs des fintechs et la place financière suisse. Ce qui s’avère positif et encourageant.
Le guide pratique de février dernier émis par la FINMA à propos des Initial Coin Offering (ICO) et les road shows effectués ont clarifié les problématiques qui se dégagent par rapport à ces levées de fonds. Notamment la catégorisation des différents «tokens» de valeurs mobilières ou non ainsi que des aspects liés au blanchiment d’argent. Car certaines cryptomonnaies constituent purement des monnaies. Mais, d’autres donnent directement accès à des assets ou encore à d’autres types d’applications et activités en ligne. La FINMA a clarifié ces questions en enrichissant le cadre légal afin qu’il s’adapte aussi au domaine des assets digitaux.
Les start-up et les entrepreneurs actifs dans les cryptomonnaies doivent-ils être titulaires d’une licence bancaire pour exercer leur activité?
Chaque activité doit être analysée au cas par cas, mais dans la plupart des cas non et cela fait sens. Une licence bancaire représente par ailleurs une contrainte administrative, organisationnelle particulièrement lourde surtout pour des petites structures. La FINMA ne peut l’octroyer que si l’activité tombe effectivement sous la Loi sur les Banques. A cet égard, il faut mentionner que l’Ordonnance sur les Banques a été flexibilisée en août 2017 (introduction d’un «sandbox»). Des discussions sont en cours en Suisse afin de voir s’il est judicieux de mettre en place une licence plus légère, mieux adaptée aux activités de ces start-ups et entrepreneurs. Les jeunes acteurs des fintechs sont aussi proactifs et se tournent vers la FINMA pour soumettre des spécificités liées à leur modèle d’affaires afin de s’assurer que les activités ne tombent pas sous la réglementation financière.
Comment les institutions bancaires réagissent-elles par rapport à la multiplication des cryptomonnaies et à l’intérêt des investisseurs pour ces actifs digitaux?
Les banques sont encore un peu frileuses quant aux cryptomonnaies et aux activités qui y sont liées. Mais on voit aussi que certains acteurs bancaires traditionnels commencent à s’y intéresser et à proposer des prestations dans ce domaine. Le principal enjeu pour eux étant de respecter les réglementations qui s’appliquent à leur activité dans le cadre de leur diversification digitale. Il faut par exemple pouvoir s’assurer d’écarter les risques liés au blanchiment d’argent.
Et que dire par rapport aux différentes plateformes de crowdfunding qui se multiplient en Suisse également? Sont-elles régulées par une réglementation particulière, ou doivent-elles l’être?
Comme indiqué précédemment, la réglementation suisse est «neutre» d’un point de vue des technologies – same business, same rules. Ces différentes plateformes sont développées avec une activité et un modèle d’affaires qui ne tombent pas dans le cadre des réglementations bancaires et financières classiques. Elles sont tout à fait conformes aux lois applicables.
Après la fin du secret bancaire, doit-on voir dans les fintechs un nouvel eldorado pour la place helvétique? Et les domaines d’activités qui y sont liés constituent-ils le nouveau paradigme bancaire suisse?
Pas complètement. Je dirais que les fintechs représentent de nouveaux domaines au sein desquels de nombreux acteurs se développent de manière intense. Le développement lié à ces nouvelles technologies, aux assets digitaux et à la blockchain est fulgurant, surtout en Suisse. Ce qui s’avère très positif et encourageant. Dans ce sens, on peut clairement constater que la place financière helvétique se profile en tant que référence pour tous ces domaines novateurs. En même temps, je trouve qu’il est également important de continuer à défendre et mettre en avant les institutions financières traditionnelles.
La Suisse reste une référence internationale en matière de private banking ou encore d’asset management. Cela fait longtemps que nous avons acquis d’excellentes compétences et une expertise de très haut niveau dans ces différentes activités. Et cela reste de mise aujourd’hui. Bien entendu, la modification du secret bancaire a engendré quelques restructurations dans le domaine du private banking, mais les différents instituts ont su y réagir de manière constructive et se réinventer. Le domaine de l’asset management, quant à lui, n’était pas concerné par cet aspect puisqu’il s’agit d’une activité très différente et continue son épopée.
Et comment ces changements et évolutions impactent les activités juridiques qui les accompagnent?
Un des principaux impacts de ces évolutions consiste à parvenir à s’adapter rapidement et efficacement aux nouvelles demandes. Les professionnels du droit bancaire et financier doivent désormais être en mesure de comprendre les nouvelles technologies qui voient régulièrement le jour dans l’optique de pouvoir conseiller et aiguiller leurs clients. Il s’agit ici vraiment en tant qu’avocat de savoir apporter de la valeur ajoutée pour permettre à ces acteurs d’être en conformité avec la réglementation sans pour autant freiner les business models. Il est très important de soutenir cette économie et de permettre son développement de manière pérenne.
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