L’architecture est un domaine voué à être fondamentalement visionnaire tout en restant rationnel, telle est l’approche que défend Victoria Easton, architecte associée au sein de Christ & Gantenbein. Le bureau d’architectes met en avant une architecture innovante et culturellement responsable, mais qui reste profondément ancrée dans un héritage. Entre exigence conceptuelle, travail collectif et adaptation aux enjeux écologiques, Victoria Easton défend une pratique patiente, contextuelle et tournée vers l’avenir.
Victoria Easton, pouvez-vous nous parler de votre parcours professionnel ?
La particularité de mon parcours est que je travaille depuis près de vingt ans au sein de Christ & Gantenbein. J’ai néanmoins eu la chance de participer à une grande diversité de projets et d’intervenir à différentes phases de leur conception. J’ai notamment commencé ma carrière avec un chantier marquant : la transformation d’une église en Angleterre.
Par la suite, je me suis progressivement spécialisée dans les étapes en amont des projets, notamment dans les études préliminaires et les concours. Aujourd’hui, je travaille sur de nombreux projets à l’international.
En parallèle de ces missions, j’ai pris la responsabilité du département des publications, des expositions et des archives de l’agence, ce qui me permet d’endosser plusieurs rôles au sein de la structure.
Selon vous, quelles sont les compétences essentielles pour diriger un cabinet d’architecture ?
Il faut avoir une vision claire et une bonne capacité d’écoute. Le secteur de l’architecture navigue entre des exigences économiques, politiques et culturelles souvent très complexes. Face à cette difficulté, il faut être capable de maintenir la qualité architecturale. Cela nécessite également beaucoup de dextérité dans la manière de faire avancer une idée, car la profession est faite de compromis et d’adaptation.
Au-delà de la rigueur conceptuelle, il faut avoir un fort esprit d’équipe et savoir communiquer des idées clairement, non seulement avec des images mais aussi avec des mots. Nous devons jongler entre de nombreux professionnels, que ce soit des planificateurs techniques ou des clients publics ou privés. Il faut garantir que tout le monde se sente concerné et impliqué dans le projet.
Qu’est-ce qui vous apporte le plus de satisfaction dans votre métier aujourd’hui ?
La conception architecturale est très multilatérale. Nous travaillons avec des ingénieurs, des urbanistes, des artisans, des graphistes… Ce dialogue que nous devons maintenir entre toutes les parties rend notre métier unique, et c’est ce qui me passionne. J’ai la chance de pouvoir interagir avec des profils très variés, et ce à différentes étapes des projets. On ne s’ennuie jamais, car on apprend tous les jours quelque chose.
Quel a été le projet le plus marquant de votre carrière ?
Il s’agit d’un grand développement d’urbanisme, dont la première étape fut un concours. Le site est une ancienne friche ferroviaire de 16 hectares près de la gare de Bâle, appelée Wolf Areal. Pour cette véritable île infrastructurelle, nous avons dû concevoir un plan urbain comprenant des logements, des bureaux et des activités de logistique. La portée du projet, par sa grandeur et le nombre d’acteurs qu’il implique, fut pour moi véritablement unique et marquante.
Quelle est la philosophie ou la vision architecturale du cabinet ?
Nous innovons tout en restant ancrés dans nos traditions. L’architecture est en perpétuelle transition entre le passé et le futur. C’est pourquoi nous essayons, dans tous nos projets, de nous inscrire dans un contexte culturel et une histoire, mais aussi de répondre aux besoins d’aujourd’hui. Nous apportons toujours des éléments contemporains : au Kunstmuseum de Bâle, nous avons installé une frise en LED qui s’adapte à la lumière et qui donne vie à la façade en brique originelle.
Quels sont les défis actuels pour un cabinet d’architecture comme le vôtre ?
Les enjeux de développement durable et la complexité croissante des réglementations nous demandent beaucoup d’adaptation. Il ne s’agit pas de réinventer les choses, mais de se remettre en question. S’ils nous demandent beaucoup d’investissement, ces défis sont très stimulants. Ils nous obligent à être toujours à jour dans nos stratégies et à toujours penser plus loin, sans jamais oublier l’énorme responsabilité de l’architecture au sein de la société.
Quelle est votre approche du développement durable dans vos conceptions ?
L’attention portée au développement durable intervient au tout début des projets. Cela nous permet de développer des conceptions qui fassent sens économiquement et qui soient avant tout rationnelles. Nous travaillons notamment sur les formes, sur l’orientation, sur la compacité des bâtiments. Au niveau de la construction, nous essayons d’utiliser le moins de matériau possible et privilégions le réemploi ainsi que des approches low-tech. Ces dernières nous permettent de redécouvrir des techniques très simples afin de construire des bâtiments plus écologiques.
Comment gérez-vous les périodes plus difficiles ou les projets complexes ?
Avec beaucoup de patience et de dextérité. Par exemple, le Musée National Suisse de Zurich est un projet qui a duré 15 ans. Soumis à une votation publique au bout de dix ans, tout notre travail aurait pu être jeté à l’eau. Nous nous sommes fortement engagés personnellement et avons travaillé avec toutes les parties prenantes pour mener le projet à bien. Mais aussi à rebondir si cela ne fonctionne pas.
Comment voyez-vous le métier d’architecte dans 10 ou 20 ans ?
L’architecture sera davantage centrée sur l’existant. L’architecte devra être capable de réinterpréter un bâtiment déjà construit, ce que nous faisons de plus en plus aujourd’hui. L’intelligence artificielle aura également un rôle croissant à jouer dans le métier, notamment dans l’accélération de certains processus. Tout en espérant que les effets seront plutôt positifs, le danger est que ces dispositifs éloignent l’architecte de sa responsabilité.
Interview Léa Stocky
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