Transmettre plutôt que vendre : repenser l’héritage immobilier
L’accession à la propriété devient un horizon de plus en plus lointain pour les jeunes ménages suisses, pris en étau entre manque de fonds propres, réformes de la prévoyance et envolée des prix. Face à cette impasse, des mécanismes juridiques comme la transmission anticipée d’un bien immobilier pourraient offrir des solutions concrètes, à condition d’être mieux compris et mieux encadrés.

Me Geneviève Chapuis Emery
Notaire et avocate à Villars-sur-Glâne et Estavayer
Parmi les grandes mutations silencieuses de notre société, l’accès à la propriété se hisse aujourd’hui au rang des préoccupations majeures des jeunes adultes. Pour les couples désireux d’acheter un logement, les obstacles se multiplient : manque de fonds propres, prix de l’immobilier en hausse constante, tenue des charges… La réalité est de plus en plus éloignée de l’idéal de la villa familiale transmise de génération en génération. Un constat partagé par Maître Geneviève Chapuis Emery, avocate et notaire, dont l’approche globale du droit et du patrimoine offre un regard éclairant sur cette problématique.
Des jeunes découragés par les exigences financières
« Les jeunes aujourd’hui ont de moins en moins de fonds propres. Ils n’ont plus d’épargne », constate Maître Geneviève Chapuis Emery. Une affirmation qui illustre bien l’impasse dans laquelle se retrouvent nombre de jeunes ménages en Suisse. Le modèle bancaire classique exige en effet que l’acheteur dispose de 20 % de fonds propres pour l’acquisition d’un bien immobilier. Une somme difficile à réunir, d’autant plus que, dans bien des cas, les cotisations du deuxième pilier (LPP) ne sont ni suffisantes, ni mobilisables à ce stade de leur carrière professionnelle. De ce fait, entre l’augmentation des coûts du foncier et celle des matériaux, la maison individuelle avec jardin semble devenir un produit de luxe. Même les appartements familiaux bien situés sont désormais inaccessibles pour nombre de primo-accédants. Résultat : beaucoup sont contraints d’opter pour la location longue durée, ou de revoir leur projet à la baisse. Pour Maître Geneviève Chapuis Emery, si « aujourd’hui on protège les locataires, on ne fait pas grand-chose pour les propriétaires ». Si la défense des locataires reste essentielle dans un marché sous tension, elle a, selon Maître Geneviève Chapuis Emery éclipsé d’autres problématiques tout aussi urgentes : le droit suisse, soucieux de préserver les droits des locataires, n’a pas accompagné de manière aussi dynamique les évolutions du marché pour soutenir ceux qui souhaitent devenir propriétaires.
Rénover ou renoncer : le fardeau des héritiers
À cela s’ajoute un second frein, moins visible, mais tout aussi structurant : celui des coûts liés à la rénovation, notamment énergétique, des biens hérités. En effet, pour les enfants qui reçoivent un immeuble familial, souvent ancien, la mise aux normes environnementales représente une charge financière considérable. « C’est en effet l’autre problématique. Celle des jeunes qui reçoivent un bien de leurs parents et qui doivent le rénover pour des raisons énergétiques. Financièrement, ils ne peuvent souvent pas se le permettre ! », alerte Maître Geneviève Chapuis Emery. Car dans ce contexte, les contrats d’entreprise signés pour effectuer les travaux s’accompagnent souvent d’une plus-value substantielle difficile à absorber pour de jeunes propriétaires. Ce qui devrait être un coup de pouce patrimonial devient parfois un fardeau, un mécanisme qui freine les transmissions intrafamiliales et contribue à la raréfaction de l’habitat individuel. Une problématique qui vient s’ajouter à la raréfaction des biens familiaux à transmettre : « Il y a de moins en moins de villas familiales », rappelle Maître Geneviève Chapuis Emery. Entre les ventes nécessaires pour équilibrer des successions et les besoins de liquidités des parents à la retraite, peu d’immeubles traversent les générations intactes.
Favoriser les transmissions anticipées
Face à cette impasse, une piste mérite d’être creusée : celle de la planification successorale, notamment par la transmission anticipée de biens immobiliers. Ce mécanisme, encore trop peu connu ou mal compris, permet pourtant d’anticiper les enjeux fiscaux et patrimoniaux tout en intégrant une réflexion sur les besoins de chaque génération.
« Toutes ces problématiques nous mènent à favoriser les transferts immobiliers au sein des familles », constate Maître Geneviève Chapuis Emery. Concrètement, il s’agirait de transmettre un bien à ses enfants de son vivant, tout en conservant un droit d’usufruit, permettant ainsi aux parents de continuer à l’occuper ou d’en percevoir les loyers. Ce montage juridique présente de nombreux avantages, notamment en matière de calcul des prestations complémentaires (PC). Encore faut-il que ce type d’opération soit accompagné avec rigueur et clairvoyance. Sur ce point, la double casquette de Maître Geneviève Chapuis Emery, à la fois avocate et notaire, lui permet de conjuguer expertise juridique et vision à long terme. Une approche transversale qui pourrait bien devenir précieuse dans un contexte où les enjeux liés à la propriété, à la fiscalité et à la transmission sont de plus en plus imbriqués.
Vers un rééquilibrage nécessaire
Le paysage immobilier suisse est en pleine mutation. Si les préoccupations environnementales et sociales ont légitimement conduit à un renforcement des protections pour les locataires, force est de constater que les jeunes propriétaires se retrouvent souvent seuls face à des défis de taille. Entre pression financière et incertitudes économiques, il devient urgent d’ouvrir une réflexion d’envergure sur les moyens d’encourager et de faciliter l’accession à la propriété. Car au-delà de la simple acquisition d’un toit, c’est bien la transmission du patrimoine familial, sa pérennisation et la capacité des jeunes générations à bâtir leur avenir qui sont en jeu. En effet, dans une société vieillissante, où la propriété reste un levier clé d’autonomie financière, bloquer l’accès à la pierre revient à fragiliser toute une génération. Les jeunes, aujourd’hui locataires par défaut, doivent pouvoir redevenir des acteurs à part entière du marché immobilier. Pour Maître Geneviève Chapuis Emery, « cela passe sans doute par une meilleure information, une simplification des outils juridiques et un accompagnement renforcé lors des transmissions par des spécialistes comme les notaires ». Mais aussi par une prise de conscience politique : la propriété privée, lorsqu’elle est accessible et bien encadrée, constitue un stabilisateur social et économique. Dans cette perspective, les outils juridiques existent. Encore faut-il les connaître, les mobiliser, et surtout, les adapter à une réalité sociale qui évolue plus vite que le droit.
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