Interview par SMA

Yves Pitton : L’IA en 2026 : entre promesses d’opportunités et impératifs de gouvernance

Membre de la Direction générale du Groupe ELCA, il décrypte l’impact massif de l’IA et ses opportunités.

En 2026, les dirigeants de PME devront composer avec une intelligence artificielle qui induit des changements toujours plus rapides et dont l’impact ne cesse de grandir, quel que soit le domaine d’activité. Pour éviter tant les écueils du buzz que ceux du déni, Yves Pitton, membre de la Direction générale du Groupe ELCA, partage quelques réflexions sur les enjeux et les opportunités qui attendent les PME à cet égard.

Fin 2024, une étude de la HWZ a révélé que l’adoption de l’IA par les PME se faisait surtout par le biais de l’IA générative (production et synthèse de contenu). Est-ce toujours le cas ?

L’IA générative reste en effet la porte d’entrée la plus facile pour explorer les potentialités de l’IA, et son adoption s’est encore accélérée en 2025. Mais l’IA générative peine toujours à s’appliquer de manière transformationnelle au sein de l’entreprise : trop d’initiatives ont un impact limité, sans réflexion sur la refonte globale des modes opératoires. Elle nécessite par ailleurs une gouvernance adaptée et des environnements sécurisés pour les utilisateurs, ne serait-ce que pour protéger les données de l’entreprise. Rappelons enfin que, pour exploiter le plein potentiel de l’IA, il faut avant tout des données structurées et de qualité.

Qu’est-ce que la popularité et l’utilisation croissante de l’IA impliquent à court terme pour les PME ?

L’IA soulève deux enjeux : celui de la visibilité et celui de la personnalisation de l’offre. Aujourd’hui, près de 70 % des recherches de produits ou de services se font par le biais d’un moteur AI comme ChatGPT. Le SEO (Search Engine Optimization) ne suffit plus. Il faut désormais ajuster le contenu en ligne avec du GEO (Generative Engine Optimization) pour que les nouveaux algorithmes pilotés par AI puissent mieux « assimiler » le contenu. L’enjeu de la personnalisation ressort clairement de l’étude « PME Digital Pulse 2025 » de localsearch et de la Haute École de Lucerne, qui a conclu que 77 % de la population suisse souhaiterait réserver des services de PME en ligne, mais que seuls 3 % des entreprises répondent entièrement à ce besoin. Beaucoup de PME utilisent en effet des solutions standard de portail self-service qui pourraient être améliorées pour mieux se différencier. Il y a là une énorme opportunité.

Y a-t-il des écueils récurrents que vous observez lors de l’implantation d’un projet AI ?

Les coûts liés à l’IA – et plus globalement à ceux des outils cloud – sont souvent plus élevés qu’il n’y paraît, et fréquemment sous-estimés par les directions de services informatiques. Les PME sont ainsi exposées à des ajustements budgétaires à terme. Bien que la plupart des éditeurs communiquent sur la simplicité du « right click and deploy », qui suggère des gains immédiats pour un faible surcoût, la réalité est souvent plus complexe. D’où l’importance d’une expertise d’impact solide et agnostique avant de s’engager plus avant, en particulier lorsque l’utilisation de l’IA s’étend à l’analyse de données ou au développement de modèles prédictifs.

Pourquoi cela ?

Parce qu’elle peut impliquer un ajustement de l’architecture cloud pour répondre à des impératifs de souveraineté. Quel que soit le modèle d’affaires envisagé, l’utilisation poussée de l’IA exige de protéger à la fois ses données sources mais aussi le fruit des résultats. En ayant recours à un cloud souverain, on peut s’inscrire dans un concept d’« IA souveraine ».

Où en sont les PME avec l’adoption du cloud ?

Beaucoup de sociétés réfléchissent encore à une transition vers un modèle hybride – cloud et sur site – de leur parc IT. Mais on estime que plus de 50 % des entreprises ayant adopté une stratégie de cloud hybride ont recours aujourd’hui à un cloud souverain. C’est prometteur pour le futur développement de l’IA en Suisse. La prédominance des modèles hybrides concerne surtout les sociétés de plus de 200 collaborateurs.

Une étude de digitalswitzerland parue en octobre 2025 s’alarme de la position des PME vis-à-vis de la cybersécurité, rapportant un désarroi grandissant de leurs responsables IT. Quel est votre sentiment à cet égard ?

La transformation digitale est une nécessité stratégique pour les PME, même si elle accroît leur exposition aux cybermenaces. Mais la cybersécurité des PME ne doit pas forcément être coûteuse ni compliquée. Notre approche consiste à ne protéger que les éléments critiques avec des moyens très ciblés. Cela peut aller de l’externalisation complète dans un SOC (Security Operation Center), pour compenser le manque de ressources ou de compétences en interne, à l’utilisation d’une solution abordable comme Praethorus que nous avons développée pour les plus petites structures. La Suisse bénéficie heureusement d’un écosystème solide de partenaires informatiques de qualité et surtout de proximité. Au vu du contexte actuel, il est essentiel que chaque PME comprenne qu’elle est un point d’entrée potentiel et que notre vulnérabilité collective dépend des moyens – au sens large – qu’elle va engager pour se protéger.

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17.12.2025
par SMA
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