Interview par SMA

Jurgi Camblong : Quand la biotechnologie change le visage de la médecine

Entrepreneur et scientifique visionnaire, Jurgi Camblong a fondé SOPHiA GENETICS en 2011, à seulement 33 ans. Originaire du Pays basque français, docteur en biologie moléculaire diplômé de l’Université de Genève, il complète sa formation par un EMBA à l’EPFL et à Lausanne. Quatorze ans plus tard, l’entreprise est devenue une référence mondiale de la médecine de précision, avec une mission claire : rendre les données médicales intelligibles, accessibles et utiles pour chaque patient, partout dans le monde.

Entrepreneur et scientifique visionnaire, Jurgi Camblong a fondé SOPHiA GENETICS en 2011, à seulement 33 ans. Originaire du Pays basque français, docteur en biologie moléculaire diplômé de l’Université de Genève, il complète sa formation par un EMBA à l’EPFL et à Lausanne. Quatorze ans plus tard, l’entreprise est devenue une référence mondiale de la médecine de précision, avec une mission claire : rendre les données médicales intelligibles, accessibles et utiles pour chaque patient, partout dans le monde.

Jurgi Camblong, comment votre formation initiale vous a-t-elle préparé à devenir entrepreneur dans le domaine des technologies médicales ?

J’ai toujours pensé que la science et l’entrepreneuriat avaient plus de points communs qu’on ne l’imagine. Pendant mon doctorat à Genève, puis mon post-doctorat à Oxford, j’ai vécu dans un univers très compétitif : il fallait être rapide, rigoureux, savoir innover et publier avant les autres. Cette exigence est proche de celle du monde entrepreneurial   comprendre son environnement, se démarquer, avancer malgré l’incertitude.
Mon parcours académique m’a donné les bases scientifiques indispensables, mais surtout un état d’esprit : la curiosité, la persévérance et la capacité à naviguer dans un écosystème complexe. Comme en recherche, créer une start-up, c’est identifier un problème, tester des solutions et trouver la voie la plus robuste pour faire la différence.

Quel moment ou quelle idée vous a conduit à fonder SOPHiA GENETICS ?

En tant que chercheur, j’étais passionné par la découverte, mais frustré par la relative lenteur du process et de son impact concret. Entre la publication d’une étude et son application réelle, il pouvait s’écouler des années. Or, face à des patients en attente de diagnostic ou de traitement, le temps est un luxe que l’on n’a pas.
C’est cette volonté d’agir plus vite qui m’a poussé vers l’entrepreneuriat. Avec mes associés, nous avons compris très tôt que les données de santé allaient exploser : aujourd’hui, 30 % de toutes les données produites dans le monde sont médicales, et leur volume croît de façon exponentielle. Mais sans outils adaptés, ces données restent dormantes. Notre idée était simple : créer une plateforme capable de les analyser de manière sécurisée, en temps réel, et de transformer cette complexité en informations utiles pour les hôpitaux.

Quel rôle joue l’IA, et comment garantissez-vous la fiabilité et la sécurité des résultats pour les patients ?

L’IA est un outil puissant, mais elle doit être utilisée avec discernement. Dès 2015, nous avons appliqué le machine learning pour distinguer les signaux pertinents dans les données médicales et éliminer le « bruit ». Puis le deep learning a permis d’aller encore plus loin : reconnaître des schémas invisibles à l’œil humain et enrichir nos analyses avec une précision inédite. Mais l’IA n’est jamais laissée à elle-même. Chaque résultat est validé, croisé, et replacé dans un contexte clinique. Pour nous, la priorité reste l’éthique : le patient doit toujours bénéficier de données fiables et compréhensibles. C’est aussi pour cela que nous avons adopté très tôt les réglementations les plus strictes et sécurisé notre cloud en partenariat avec Microsoft Azure. Nous ne travaillons jamais contre le système de santé, mais avec lui, en renforçant ses capacités. Je parle d’ailleurs de ces sujets à enjeux et y relate leurs évolutions dans mon émission de podcast Decoded, disponible sur Spotify et Apple Podcasts.

Comment alliez-vous innovation et réglementation, et quels en sont les freins ?

Nous avons choisi d’embrasser la réglementation plutôt que de la considérer comme un frein. Dès nos débuts, nous avons mis en place des normes ISO et respecté le cadre européen IVDR. Cela nous a permis de gagner la confiance des hôpitaux et de montrer que rigueur scientifique et innovation pouvaient avancer main dans la main.
Un algorithme doit évoluer rapidement pour rester pertinent. Chez nous, les mises à jour sont possibles toutes les trois semaines, sans compromettre la qualité ni la sécurité. Le plus grand défi reste d’expliquer clairement à la société ce que fait l’IA et de dissiper les fantasmes. Une IA bien utilisée n’est pas une menace, mais une formidable boîte à outils pour les médecins.

Quels marchés présentent le plus fort potentiel pour la médecine des données ?

Le marché nord-américain est aujourd’hui le plus dynamique. Il a une taille considérable et une culture d’adoption rapide des innovations. Nous avions commencé en Europe, mais le marché reste fragmenté, avec des réglementations différentes selon les pays. Aux États-Unis, l’écosystème est plus homogène et les collaborations se mettent en place plus vite.
Cela dit, l’Europe a aussi un rôle majeur à jouer, notamment dans la recherche clinique. Et notre ambition reste mondiale : aujourd’hui, plus de 800 hôpitaux dans 72 pays utilisent SOPHiA GENETICS, et 2 millions de patients ont déjà bénéficié indirectement de notre technologie.

Quels conseils tirer de vos succès et échecs pour d’autres entrepreneurs ?

Le premier conseil, c’est d’avoir une vision claire et de s’y tenir. Au début, nous aurions pu nous disperser, mais nous avons préféré investir dans la qualité, bâtir un produit solide et répondre à un vrai besoin. Ensuite, il faut être agile, accepter de pivoter quand le marché l’exige, et rester extrêmement vigilant sur l’usage des fonds.
Un autre élément clé, c’est de s’entourer. Un bon conseil d’administration, diversifié et franc, est essentiel pour challenger les décisions et éviter les angles morts. Enfin, il faut trouver le bon équilibre entre innovation, opérations solides et culture d’entreprise : avec plus de 400 collaborateurs aujourd’hui, c’est cette culture qui fait la différence au quotidien.

Quels sont vos mantras personnels en tant que leader et innovateur ?

Nous avons défini sept vertus, mais si je devais en retenir parler de mon mantra, ce serait : « We care ». Prendre soin des patients, des clients, des collaborateurs. Être honnête, transparent, franc dans les échanges. Croire en la force du collectif, car une entreprise, comme une découverte scientifique, ne se fait jamais seul.

Quel avenir pour la biotechnologie et la médecine de précision ?

Nous vivons une révolution silencieuse. Grâce aux données, nous allons pouvoir proposer des thérapies ciblées pour des maladies rares ou complexes. Nos technologies ont déjà permis de mieux comprendre certains cancers et de participer à des essais cliniques prometteurs. Demain, chaque patient pourra bénéficier d’une médecine sur mesure, adaptée à son profil génétique et biologique grâce en grande partie aux datas. C’est ce futur que nous bâtissons chez SOPHiA GENETICS : une médecine plus précise, plus rapide, plus humaine. Une médecine où la donnée n’est pas une contrainte, mais une chance.

Interview Alix Senault

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29.10.2025
par SMA
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