Interview par SMA

Marc Oehler : « Un cloud éthique et souverain, sans compromis »

Le CEO d’Infomaniak, l’un des pionniers du web suisse, défend une vision progressiste d’un cloud durable, éthique et transparent. Guidé par la conviction qu’innovation et responsabilité peuvent aller de pair, Marc Oehler promeut un modèle technologique souverain, respectueux de l’environnement et des utilisateurs. À la tête d’une entreprise de plus de 300 collaborateurs, il œuvre à faire d’Infomaniak un acteur incontournable du cloud européen. Rencontre avec un dirigeant engagé, défenseur d’un numérique sûr, durable et profondément humain.

Le CEO d’Infomaniak, l’un des pionniers du web suisse, défend une vision progressiste d’un cloud durable, éthique et transparent. Guidé par la conviction qu’innovation et responsabilité peuvent aller de pair, Marc Oehler promeut un modèle technologique souverain, respectueux de l’environnement et des utilisateurs. À la tête d’une entreprise de plus de 300 collaborateurs, il œuvre à faire d’Infomaniak un acteur incontournable du cloud européen. Rencontre avec un dirigeant engagé, défenseur d’un numérique sûr, durable et profondément humain.

Pouvez-vous nous raconter votre parcours et vos débuts en tant que CEO chez Infomaniak ?

J’ai passé une grande partie de ma vie dans cette entreprise : cela fait plus de 21 ans que j’y travaille ! J’ai commencé au support client avant d’évoluer progressivement au sein de l’entreprise, en 2013 comme responsable de produits, en mars 2017 comme Chief Customer Officer, puis comme CEO en décembre 2020. Cette ascension interne reflète bien l’esprit d’Infomaniak : une entreprise qui valorise la passion, la compétence et la confiance.

À mes débuts, nous étions à peine une vingtaine de collaborateurs ; aujourd’hui, nous sommes plus de 300 et nous recrutons en permanence. Je me considère un peu comme le chef d’orchestre de ce travail collectif. Je dirige l’entreprise en binôme avec Boris Siegenthaler, le fondateur et directeur stratégique, et en étroite collaboration avec les responsables d’équipe, proches du terrain. Nous avançons tous ensemble, portés par des valeurs communes et un réel esprit de cohésion.

Quelle est, selon vous, la principale qualité qu’un dirigeant doit posséder aujourd’hui pour mener une entreprise technologique dans un environnement aussi mouvant ?

Sans hésiter : l’empathie. Dans ce métier, il faut être capable d’écouter et de comprendre tout le monde : les clients, les collaborateurs et, bien sûr, le marché. J’ai occupé plusieurs postes avant de devenir CEO, donc je connais bien les besoins et les réalités du terrain, ainsi que les aspirations de mes collègues. Mon rôle est d’assurer une écoute active et de favoriser un dialogue constructif.

J’encourage aussi la remise en question et l’innovation au sein des équipes, notamment à travers des workshops qui stimulent la créativité collaborative et la mise en commun des idées. C’est essentiel pour maintenir une culture d’entreprise vivante et humaine, où chacun se sent écouté et impliqué.

Infomaniak est souvent cité comme un exemple de modèle d’entreprise durable et indépendante. Qu’est-ce qui vous a motivé à défendre cette voie, parfois à contre-courant du marché ?

C’est d’abord une conviction initiée et partagée avec Boris Siegenthaler. Nous avons toujours voulu prouver qu’il était possible de concilier croissance et durabilité. Chez Infomaniak, la culture valorise le respect de la nature et la réduction de l’empreinte carbone. Dès nos débuts, nous avons décidé de bâtir une entreprise inscrite dans cette logique : garder tout le personnel en Suisse, concevoir nos infrastructures en Suisse et garder le contrôle de nos données, tout en alimentant nos activités avec de l’énergie renouvelable locale.

Le data center que nous avons inauguré en janvier 2025 illustre parfaitement cette approche. Il revalorise la totalité de la chaleur fatale produite pour son propre fonctionnement afin de chauffer des ménages, sans impacter le paysage, car il est construit sous le parc d’une coopérative éco-responsable. Certes, la construction a coûté plus cher, mais sur le long terme, il s’agit d’un investissement rentable et cohérent avec nos valeurs. Nous avons d’ailleurs publié en open source nos méthodes et nos plans sur d4project.org, en espérant qu’il devienne à terme obligatoire de prendre en compte la revalorisation de la chaleur émise dans notre industrie.

Chez Infomaniak, l’écologie n’est pas un argument marketing, mais une ligne de conduite. Nous utilisons exclusivement de l’énergie renouvelable certifiée, compensons doublement nos émissions de CO2 et construisons nos propres centrales solaires avec des panneaux fabriqués en Europe, avec l’objectif d’autoproduire la moitié de notre consommation annuelle d’ici 2030. Nous veillons aussi à la durabilité de notre matériel : nos serveurs sont conçus pour durer, mis à jour avec des composants dernier cri après cinq ans d’utilisation, et peuvent ainsi fonctionner jusqu’à quinze ans. Car nous savons bien que l’achat de nouveaux serveurs est ce qui génère le plus de CO2, étant donné que nous n’utilisons que de l’énergie renouvelable locale.

Nous appliquons cette même exigence à notre gestion interne. Tous nos collaborateurs bénéficient d’un cadre de travail responsable : salaires équitables, horaires flexibles, heures supplémentaires comptées et récupérées, télétravail, plusieurs sorties d’entreprise par an et prime de mobilité douce. L’éthique chez Infomaniak, c’est autant une question d’écologie que de respect humain. Nous pensons que la durabilité environnementale ne peut exister sans une durabilité sociale.

Quelles sont aujourd’hui les priorités stratégiques d’Infomaniak ?

Nous voulons développer nos offres tout en les rendant accessibles au plus grand nombre. Nos deux produits phares sont la suite collaborative kSuite, une solution sécurisée destinée aux professionnels, PME et grandes entreprises, qui facilite le travail en équipe, le partage de fichiers et la communication interne, ainsi que des solutions de cloud computing comme le public cloud. Ces services sont entièrement basés en Suisse et permettent aux entreprises de gérer tout leur IT dans un cloud souverain avec une technologie interopérable et un accompagnement de proximité.

Ces deux piliers répondent aux besoins actuels et futurs des entreprises. Notre ambition est claire : devenir l’un des leaders européens du cloud souverain, tout en restant fidèles à notre modèle durable et éthique.

Vous évoquez souvent la notion de « cloud sans bullshit ». Quel est l’impact de cette philosophie dans votre manière de concevoir vos services ?

Cela veut dire que nous faisons ce que nous disons, sans artifices ni marketing trompeur. Nos tarifs sont justes et transparents, et nous veillons à les garder accessibles au plus grand nombre. Nous proposons ainsi des offres jusqu’à quarante fois inférieures à celles d’Amazon Web Services, et ce, sans délocaliser notre personnel. Mais au-delà du prix, cette philosophie repose sur la sincérité et la confiance.

Nous investissons le plus possible dans des solutions open source, afin que chacun puisse vérifier, comprendre et même contribuer à nos technologies. Nos outils ne rendent pas les utilisateurs captifs et réduisent concrètement l’impact carbone du numérique. C’est une garantie forte pour nos clients, mais aussi une forme de militantisme : nous voulons prouver qu’un cloud performant peut être à la fois éthique, local et supportable pour la planète.

Notre « no bullshit » s’applique aussi à la transparence des données. Nous refusons de vendre les informations de nos utilisateurs, de les exploiter à des fins commerciales ou publicitaires. Tout est maîtrisé en Suisse afin de garantir cet engagement : des data centers au développement de nos solutions jusqu’au cadre légal. Nous appartenons à une génération d’entreprises européennes qui croient en un numérique fondé sur la confiance, pas sur la captation.

Quelles sont vos perspectives d’expansion et de recrutement chez Infomaniak ?

Nous avons ouvert un pôle technique à Zurich afin de renforcer notre présence en Suisse alémanique, où notre croissance est la plus importante, avec la France et l’Italie. Nous recrutons actuellement des ingénieurs et des techniciens pour Zurich et Genève, et une centaine de personnes ont déjà rejoint nos équipes rien que cette année. Parallèlement, nous étendons notre présence en France, en Belgique, en Italie et en Allemagne.

Cette croissance est importante, mais elle se veut maîtrisée. Chaque recrutement doit renforcer notre culture et notre cohérence interne. Nous privilégions les profils qui partagent nos valeurs d’intégrité et de durabilité plutôt qu’une simple logique de volume.

La question de la souveraineté numérique est de plus en plus centrale. Pensez-vous qu’un véritable cloud européen puisse rivaliser frontalement avec les GAFAM ?

Oui, et c’est même indispensable. Avec les enjeux géopolitiques actuels, il devient crucial de garantir une indépendance technologique européenne. Cela implique une adaptation rapide et des infrastructures locales extrêmement fiables. Notre modèle repose sur une économie circulaire et une approche pro-européenne, en accord avec nos valeurs de transparence et de souveraineté.

Chez Infomaniak, nous sommes favorables à la création d’un environnement de coopération entre les acteurs européens du numérique. Il est essentiel d’établir un dialogue commun pour développer ensemble des solutions interopérables, fiables et responsables. La souveraineté ne se décrète pas : elle se construit collectivement, avec des entreprises qui créent de la valeur et un savoir-faire en Europe, avec un niveau d’exigence élevé.

L’arrivée de l’IA générative bouleverse déjà la manière de produire et de consommer les technologies. Comment Infomaniak intègre-t-il ou envisage-t-il cette évolution ?

L’IA représente pour nous un tournant aussi majeur que la création d’Internet ou l’avènement des smartphones. Nous souhaitons l’encadrer avec des technologies souveraines et des solutions développées en interne qui garantissent le contrôle des données en Suisse pour les utilisateurs. Nos services d’IA garantissent la confidentialité des données : elles ne sortent jamais de Suisse, ne sont jamais utilisées pour entraîner des IA, et nos serveurs, tous basés en Suisse, fonctionnent exclusivement à l’énergie renouvelable.

Nous proposons également Euria, un assistant IA 100 % géré en Suisse, respectant la vie privée et exclusivement alimenté par de l’énergie renouvelable. Une alternative aux grandes plateformes comme ChatGPT. L’enjeu est d’offrir des outils performants sans jamais compromettre la confidentialité des données ni dépendre d’acteurs extérieurs soumis à d’autres législations. Nous pensons qu’une IA responsable doit respecter l’humain ainsi que la planète.

Si vous deviez résumer la mission d’Infomaniak en une phrase, quelle serait-elle ?

Être la référence européenne d’un cloud souverain, écologiquement exemplaire et socialement responsable, contribuant activement à une transition numérique durable.

Enfin, quelle est votre plus grande fierté en tant que CEO et votre plus grand défi pour les années à venir ?

Le plus grand défi, c’est de rester compétitif sans trahir nos valeurs. La Suisse bénéficie d’un savoir-faire
et d’un sens du service uniques, reconnus dans le monde entier. Nous voulons conserver cette exigence tout en restant fidèles à notre ADN.

Ma plus grande fierté, c’est de pouvoir continuer à entretenir la philosophie de notre entreprise, d’en préserver l’esprit et d’aligner nos actions avec nos convictions. Quand je vois nos collaborateurs, nos clients et nos partenaires s’approprier nos valeurs, je me dis que nous sommes sur la bonne voie : celle d’un numérique utile, humain et durable.

Interview Alix Senault

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15.12.2025
par SMA
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