Le droit public est un pilier fondamental de l’organisation de l’État et des politiques publiques. Pourtant, il est aujourd’hui confronté à des défis inédits : montée en puissance de l’intelligence artificielle, urgence climatique, transformation des rapports entre le public et le privé. François Bellanger, professeur de droit public à l’Université de Genève et avocat, décrypte ces enjeux et explore les évolutions possibles d’un droit en pleine mutation.

François Bellanger
Professeur de droit public à l’Université de Genève et avocat
François Bellanger, comment définir aujourd’hui le rôle du droit public dans la régulation des institutions et des politiques publiques ?
Le droit public est essentiel, car si toute politique publique implique un choix des pouvoirs publics, son implémentation passe nécessaire par l’adoption et la mise en œuvre de normes juridiques. Le droit structure nos institutions et encadre la mise en œuvre des décisions publiques.
Le droit administratif est souvent perçu comme une matière technique. Comment en expliquer l’importance au grand public ?
Certes, c’est un droit technique, mais il a l’avantage d’être pour l’essentiel codifié, ce qui facilite sa compréhension. Il définit la relation entre l’État et les citoyens, en précisant à la fois les obligations et les droits de chacun. En somme, il organise tous nos rapports avec l’administration.
Quels sont, selon vous, les principes du droit public qui mériteraient d’être mieux appliqués en Suisse ?
Des principes comme la légalité et la transparence restent essentiels, mais il faut aussi veiller au respect de la subsidiarité et de la proportionnalité. L’État doit intervenir lorsque cela est nécessaire, sans se substituer inutilement aux acteurs privés. Et lorsqu’il agit, il doit toujours choisir la solution permettant d’atteindre l’intérêt public la moins contraignante pour les individus et l’économie.
Comment le droit public doit-il s’adapter face à l’essor de l’IA dans les décisions administratives ?
L’IA évolue rapidement et pose un défi majeur pour le droit public. Faut-il l’encadrer ? Si oui, comment ? Ce sont des questions centrales pour les juristes et les politiques. D’un côté, l’IA peut faciliter les processus administratifs. De l’autre, son rôle dans la prise de décision reste délicat. Par exemple, dans des domaines comme la fiscalité, où certaines décisions sont standardisées, l’IA pourrait être utile. Mais lorsqu’une appréciation humaine est nécessaire, notamment pour appliquer le principe de proportionnalité, elle ne peut se substituer à l’administration ou au juge.
L’automatisation des décisions publiques remet-elle en cause certains principes fondamentaux du droit administratif ?
Le droit au recours, inscrit dans l’article 29a de la Constitution, ne peut être remis en cause. Une automatisation excessive pourrait menacer des principes comme l’égalité de traitement ou la proportionnalité. Un algorithme binaire, incapable de tenir compte de situations particulières, ne peut remplacer une véritable analyse juridique.
L’État doit-il renforcer ses obligations juridiques en matière environnementale ?
Nous allons vraisemblablement dans cette direction. La difficulté réside dans l’équilibre entre exigences environnementales et enjeux économiques. Par exemple, à Genève, l’État impose déjà des rénovations énergétiques aux propriétaires de bâtiments peu performants. Ces mesures, aujourd’hui ciblées, pourraient s’étendre à d’autres secteurs.
Pensez-vous que le droit public pourrait devenir plus souple et contractuel à l’avenir ?
Oui, c’est déjà le cas dans certains domaines, comme l’aménagement du territoire. Le canton de Vaud utilise des conventions entre acteurs publics et privés pour mettre en œuvre ses plans. Contrairement à une idée reçue, le droit public ne signifie pas forcément une intervention unilatérale de l’État. Dans certaines limites, l’administration peut opter pour des solutions contractuelles, souvent plus flexibles et efficaces.
Laisser un commentaire