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Enjeux technologiques et domaine juridique

02.02.2019
par SMA

Bâtonniers des Ordres des Avocats vaudois et genevois, François Roux et Lionel Halpérin évoquent les enjeux du paradigme technologique émergeant dans le domaine juridique. Avec l’arrivée de plateformes en ligne et d’algorithmes, le métier d’avocat est amené à évoluer durant ces prochaines années. Explications.

Permettant notamment de démocratiser l’accès au droit, ces nouvelles technologies sont accueillies avec enthousiasme par les acteurs de la branche. En même temps, elles nécessitent la mise en place de sérieux dispositifs en matière de confidentialité et de protection des données. Interview croisée avec François Roux et Lionel Halpérin, qui cerneront les enjeux et défis liés à cette nouvelle donne juridico-technologique.

Quelles sont les principales transformations technologiques qui concernent les professions juridiques?

Lionel Halpérin. En Suisse, on peut déjà mentionner le projet Justitia 4.0. Porté par la Confédération, il vise à mettre en place les outils et procédés nécessaires à la numérisation des échanges et relations entre les professionnels du droit et les tribunaux. A l’aide de plateformes digitales, il sera par exemple possible de déposer des actes juridiques en ligne tout en évitant les problèmes de délais. Le projet veut doter le système juridique helvétique de ces outils et processus numériques d’ici à l’horizon 2024 – 2026.

François Roux. Avant la mise en place de ce projet, on pouvait observer plusieurs approches et avancées individuelles dans différents cantons. Heureusement, avec Justitia 4.0, la Confédération élabore une approche globale et commune à l’échelle nationale. Une vision qui permet ainsi d’harmoniser le développement puis l’adoption de ces nouveaux outils et processus entre l’ensemble des cantons. Pour être opérée avec succès, la numérisation du secteur juridique nécessite un engagement collectif de tous les acteurs de la branche.

Où en est la Suisse par rapport à ses voisins européens dans la numérisation de son système juridique?

François Roux. A travers son projet Justitia 4.0, la Suisse fait preuve d’esprit d’initiative. Les plateformes et outils technologiques dans le secteur juridique existent dans certains pays. C’est le cas en Autriche où on ne peut déjà plus envoyer d’actes juridiques et autres documents administratifs par voie postale. Mais globalement, la numérisation de la branche reste encore à mettre en place sur la scène internationale. La Suisse prend donc les devants en ayant décidé de se doter d’outils numériques et de généraliser leur utilisation d’ici à quelques années.

Pour les différents acteurs de la branche, cette numérisation implique-t-elle de profonds changements?

Lionel Halpérin. Pas vraiment. Il s’agira surtout de pouvoir se connecter aux futures plateformes de manière efficace et coordonnée. S’il y a un effort à fournir, je pense qu’il concerne surtout les tribunaux. Encore habituées à des méthodes de travail et d’échanges classiques, les autorités judiciaires vont en effet devoir rattraper un certain retard. Mais globalement, les avocats et études ne vont pas subir de mutations technologiques fondamentales.

Au-delà de Justitia 4.0, quelles autres technologies vont émerger durant ces prochaines années dans le domaine juridique?

Lionel Halpérin. Globalement, on voit que différents types de legaltech sont en train de faire leur apparition. Je pense notamment aux plateformes de mise en relation entre avocats et individus. Sans forcément constituer une évolution technologique des plus importantes, ce nouveau type de plateformes implique tout de même une approche transparente dans le but d’informer clairement les utilisateurs. En ce sens, nous estimons qu’il est essentiel de maintenir le cadre déontologique en vigueur dans notre profession. Ce sont bien ces nouvelles technologies qui doivent s’adapter aux règles déontologiques actuelles et non l’inverse.

François Roux. Je partage évidemment cette vision. Dans le cas de ces plateformes de mise en relation, il faut garder à l’esprit un aspect central: celui du secret professionnel. Véritable socle de notre profession, il n’est pas garanti sur ces plateformes en ligne. En tant qu’intermédiaires entre le client potentiel ou l’individu et l’avocat, elles ne sont pas soumises au secret professionnel. Il est ainsi essentiel d’informer de manière claire et transparente les utilisateurs. En s’enregistrant sur ce type de plateformes web, ils doivent être conscients du fait que les informations qu’ils transmettront par leur biais ne peuvent être considérées comme confidentielles.

Et que dire des algorithmes et autres dispositifs basés sur l’intelligence artificielle?

Lionel Halpérin. L’intelligence artificielle arrive en effet progressivement dans notre profession. Actuellement à ses débuts aux États-Unis, on peut évidemment s’attendre à la voir apparaître en Europe durant ces prochaines années. Capables d’effectuer certaines recherches ou des tâches spécifiques telles que la rédaction d’actes juridiques, ces logiciels engendreront des changements intéressants. Plus efficaces que les humains dans ces cas, ces algorithmes vont permettre de redéfinir le rôle de l’avocat. Ce dernier va ainsi pouvoir se concentrer davantage sur la dimension humaine de son activité. Moins cantonnée aux aspects techniques, son expertise devrait porter de plus en plus sur une vision globale des dossiers en cours. Elle permettrait ainsi d’accompagner et de conseiller ses clients avec une certaine proximité.

François Roux. Ces dispositifs dont le fonctionnement est basé sur l’intelligence artificielle vont également permettre de démocratiser l’accès au droit. Il faut donc s’en réjouir. Le développement de ces outils technologiques va notamment dans le sens des permanences juridiques existant dans nos cantons pour permettre aux personnes intéressées d’obtenir un premier conseil à des tarifs abordables. On peut remarquer que l’apparition progressive de l’intelligence artificielle semble encore inquiéter certaines personnes. Cependant, il faut garder à l’esprit qu’il s’agit d’un bon outil. Son utilisation va en effet permettre à l’avocat d’apporter une réelle plus-value dans la relation de confiance et de conseil qui l’unit à son client. Bien entendu, ce nouveau paradigme technologique doit être construit sur des bases solides en matière de sécurité.

Par rapport à cet aspect sécuritaire, comment garantir la confidentialité et la protection des données dans des échanges orientés vers le digital?

François Roux. La sécurité est évidemment au coeur de tous les développements technologiques qui touchent la branche juridique. Dans ce sens, les études d’avocats devront être particulièrement attentives aux qualifications et à l’expertise de leur fournisseur informatique. Les failles sécuritaires ou de confidentialité doivent être évitées pour maintenir la relation de confiance qui unit l’avocat et son client.

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